lundi 1 juin 2009

Séquence 4. L'imposture au théâtre

Séquence 4. Imposture et vérité au théâtre


Intro: la double énonciation. Molière, Tartuffe: on connaît l’hypocrisie de Tartuffe, mais pas Mme Pernelle
Victor Hugo, Ruy Blas: on connaît l’identité empruntée de Ruy Blas, mais pas la Reine
Anouilh, Antigone: on comprend que le combat d’Antigone est celui de la justice, et que le discours de Créon est celui de l’imposture
+ visionage de 2 versions du Tartuffe de Molière

Séance 1. Molière, Tartuffe. La scène d'exposition
importance du corps : incipit in medias res

Séance 2. Molière, Tartuffe. LL p237 et comparaison avec les images
mise en scène, jeu des acteurs

Séance 3. Victor Hugo, Ruy Blas, Acte III sc 4 le coup de théâtre central p82-83 (+LLp234-235)
le coup de théâtre
monologue
Séance 4. Victor Hugo, Ruy Blas, sc finale p138-140 (v2333 à la fin)
la double énonciation, et la révélation du nom

(Séance 5. Anouilh, Antigone, L’Incipit, LL p240-241)
scène d'exposition
réinterprétation de l’histoire : la continuité tragédie grecque/contemporaine

(Séance 6. Anouilh, Antigone, un monologue délibératif?)
la tragédie
didascalies
Séance 1. Molière, Tartuffe, scène d’exposition, I, 1, v1-60
La scène est à Paris.

Acte I, scène première
MADAME PERNELLE et FLIPOTE, sa servante, ELMIRE, DAMIS, MARIANE, DORINE, CLÉANTE.

MADAME PERNELLE
1 Allons, Flipote, allons, que d'eux je me délivre.
ELMIRE
Vous marchez d'un tel pas qu'on a peine à vous suivre.
MADAME PERNELLE
Laissez, ma bru, laissez, ne venez pas plus loin:
Ce sont toutes façons dont je n'ai pas besoin.
ELMIRE
5 De ce que l'on vous doit envers vous on s'acquitte.
Mais, ma mère, d'où vient que vous sortez si vite?
MADAME PERNELLE
C'est que je ne puis voir tout ce ménage-ci,
Et que de me complaire on ne prend nul souci.
Oui, je sors de chez vous fort mal édifiée:
10 Dans toutes mes leçons j'y suis contrariée,
On n'y respecte rien, chacun y parle haut,
Et c'est tout justement la cour du roi Pétaut.
DORINE
Si...
MADAME PERNELLE
Vous êtes, mamie, une fille suivante
Un peu trop forte en gueule, et fort impertinente:
15 Vous vous mêlez sur tout de dire votre avis.
DAMIS
Mais...
MADAME PERNELLE
Vous êtes un sot en trois lettres, mon fils.
C'est moi qui vous le dis, qui suis votre grand'mère;
Et j'ai prédit cent fois à mon fils, votre père,
Que vous preniez tout l'air d'un méchant garnement,
20 Et ne lui donneriez jamais que du tourment.
MARIANE
Je crois...
MADAME PERNELLE
Mon Dieu, ma soeur, vous faites la discrète,
Et vous n'y touchez pas, tant vous semblez doucette;
Mais il n'est, comme on dit, pire eau que l'eau qui dort,
Et vous menez sous chape un train que je hais fort.
ELMIRE
25 Mais, ma mère...

MADAME PERNELLE
Ma bru, qu'il ne vous en déplaise,
Votre conduite en tout est tout à fait mauvaise;
Vous devriez leur mettre un bon exemple aux yeux,
Et leur défunte mère en usait beaucoup mieux.
Vous êtes dépensière; et cet état me blesse,
30 Que vous alliez vêtue ainsi qu'une princesse.
Quiconque à son mari veut plaire seulement,
Ma bru, n'a pas besoin de tant d'ajustement.
CLÉANTE
Mais, Madame, après tout...
MADAME PERNELLE
Pour vous, Monsieur son frère,
Je vous estime fort, vous aime, et vous révère;
35 Mais enfin, si j'étais de mon fils, son époux,
Je vous prierais bien fort de n'entrer point chez nous.
Sans cesse vous prêchez des maximes de vivre
Qui par d'honnêtes gens ne se doivent point suivre.
Je vous parle un peu franc; mais c'est là mon humeur,
40 Et je ne mâche point ce que j'ai sur le cour.
DAMIS
Votre Monsieur Tartuffe est bien heureux sans doute.
MADAME PERNELLE
C'est un homme de bien, qu'il faut que l'on écoute;
Et je ne puis souffrir sans me mettre en courroux
De le voir querellé par un fou comme vous.
DAMIS
45 Quoi? je souffrirai, moi, qu'un cagot de critique
Vienne usurper céans un pouvoir tyrannique,
Et que nous ne puissions à rien nous divertir,
Si ce beau monsieur-là n'y daigne consentir?
DORINE
S'il le faut écouter et croire à ses maximes,
50 On ne peut faire rien qu'on ne fasse des crimes;
Car il contrôle tout, ce critique zélé.
MADAME PERNELLE
Et tout ce qu'il contrôle est fort bien contrôlé.
C'est au chemin du Ciel qu'il prétend vous conduire,
Et mon fils à l'aimer vous devrait tous induire.
DAMIS
55 Non, voyez-vous, ma mère, il n'est père ni rien
Qui me puisse obliger à lui vouloir du bien:
Je trahirais mon cour de parler d'autre sorte;
Sur ses façons de faire à tous coups je m'emporte;
J'en prévois une suite, et qu'avec ce pied plat
60 Il faudra que j'en vienne à quelque grand éclat.



Vocabulaire :
V9 « fort mal édifiée » = avec une très mauvaise impression
V12 « la cour du Roi Pétaut » = désordre
V24 « sous chape » = sous cape, en secret
V25 « ma bru » = ma belle-fille
V43 « courroux » = colère
V45 « souffrirai » = supporterai
V45 « cagot » = hypocrite
V46 « céans » = ici
V48 « daigne » = accepte de
V51 « zèle » = énergie, engagement (notamment religieux)
V54 « induire » = amener
Commentaire composé :
Tartuffe est l'une des plus célèbres pièces de Molière. Créée en 1669 au Palais-Royal de Paris, cette pièce en cinq actes et en vers (alexandrins) dresse le portrait d'un faux dévot, Tartuffe, qui, en tant que directeur de conscience (prêtre ou laïc chargé de guider la vie du fidèle), s’introduit dans la maison d'Orgon et tentera de séduire Elmire, la femme de son maître. Le scandale éclatera, et le roi aura du mal à protéger Molière face aux attaques du parti jésuite, omniprésent à la cour dans cette seconde partie du XVII°s. Ce que l'on appellera la Cabale des dévots obligera Molière à censurer sa pièce.
Ici, nous somme dans l'Acte I scène 1, c'est-à-dire au tout début de la pièce, à l'acte d'exposition. La mère de Monsieur Orgon, Mme Pernelle, s'apprête à quitter la maison de son fils, devant les dérives et folies des "jeunes", Dorine, Damis, Mariane… Cet extrait de la première scène de la pièce nous montre Mme Pernelle s'adressant successivement à chaque personnage, et dressant à chacun un portrait très critique. Il s'agira dès lors d’étudier cette façon paradoxale qu'a Molière d'ouvrir sa pièce, et quel regard il pose sur l'intrigue de sa pièce.
Nous verrons en première partie....
Plan :
Intro
I Une ouverture ambiguë
A/ Une scène d'exposition particulière
La sortie de Mme Pernelle: Début qui commence par une sortie, paradoxe ! Début in medias res (c’est-à-dire directement dans l’action, et non pas par une présentation avant de commencer l’action), beaucoup de personnages présents en scènes à l’opposé de la tragédie : deux : Un protagoniste et un confident ; plutôt comme dans un dénouement où tous les personnages sont rassemblés.
Le contenu du discours de Mme Pernelle exprime sa désaprobation devant la façon de vivre de la famille de son fils en faisant des portraits satiriques de chacun et en ne les laissant pas s’exprimer, donne son point de vue sans charité en les interrompant, contraduction entre la vertu préconisée et le comportement.



B/ Présentation des forces en présence :
Façon très habile de donner des informations aux spectateurs sur les personnages de façon vraisemblable : la colère de Mme Pernelle et ses portraits permet au public d’identifier les personnages et de comprendre la situation de la maison d’Orgon divisée en deux camps, ceux – les plus nombreux- qui sont hostiles à Tartuffe et ceux qui le défendent, cf mouvements du passage. Quasi-totalité des personnages (très original): 7 personnages sur 12 : commentaire de la liste des personnages qui précédait ! Caractérisation des personnages. Art du portrait (développé au XVIIe). Retournement du rapport de force dans la scène quand Damis parvient à faire le portrait de Tartuffe soutenu par Dorine. ( Trois parties : sortie de mme Pernelle, portraits des membres de la famille, renversement autour de la présentation de Tartuffe)
Deux servantes, langage soutenu, milieu aisé.

Madame Pernelle : mère d'Orgon et favorable à Tartuffe qui est, d'après elle, un personnage pieux et respectable. Dès la scène d'exposition, elle est immédiatement disqualifiée par Molière : elle incarne l'aveuglement d'une génération dépassée. D'ailleurs, elle sera la dernière personne à comprendre son erreur.
(Orgon : mari d'Elmire et fils de Madame Pernelle.)
Elmire : femme d'Orgon. Contrairement à Orgon, elle est présentée comme un personnage entièrement positif. Elle est caractérisée par deux termes:la discrétion et l'efficacité. En effet, sans les interventions intempestives de Damis, la pièce aurait pu se terminer bien plus tôt. Elle est le dernier recours pour démêler des situations familiales complexes (mariage entre Tartuffe et Mariane).
Damis : fils d'Orgon et frère de Mariane, il a reçu le caractère de son père (colérique) mais ses actions demeurent inefficaces.
Mariane : fille d'Orgon, sœur de Damis et amante de Valère. Elle est très timide et plutôt passive.
(Valère : amant de Mariane)
Cléante : beau-frère d'Orgon. Personnage calme, réfléchi et intelligent. C'est pourquoi il essaye de raisonner Tartuffe à l'acte 4.
(Tartuffe : faux dévot)
Dorine : servante de Mariane. Personnage plein de bon sens et de franc parler
(Monsieur Loyal : sergent royal )
(Un exempt : officier royal chargé des arrestations)
Flipote : servante de Madame Pernelle.

II Annonce de l'intrigue
A/ Création d'une tension par la sortie
B/ Un portrait décalé de chaque personnage
Contenu des portraits : champ lexical moral, lien de parenté entre les personnages. Mme Pernelle utilise une syntaxe affirmative ou impérative, des phrases présentatives péremptoires, sûre de son bon droit, dénonce ce qui ne va pas selon elle. Formulation curieuse » de mon fils, son époux » ! Souci de régenter pousser à l’extrême.
Personnage excessif ( hautaine cf « ce ménage-ci », obstinée, âgée, grossière) qui a le pouvoir mais s’oppose à ceux qui prônent plus de modération, un juste milieu entre les plaisirs du monde et la piété.Deux camaps : Elmire est à l’opposé : posée, jeune, séduisante.Tous les membres de la famille sont jeunes, polis, bien habillés.Ils n’aiment pas être édifiés, l’hypocrisie, la médisance leur déplaît : esprits éclairés qui se méfient du Tartuffe.

Portrait de Tartuffe par Damis très inquiétant et très lucide : champ lexical politique de l’usurpation de pouvoir et de la tyrannie.
Effet d’attente pour le public qui va vérifier si les propos de Damis sont confirmés et qui imagine le physique du Tartuffe, qui peut considérablement changer la perception du personnage :est-il sec ,confit dans sa pseudo dévotion, image ascétique du croyant, est-il rougeaud, gourmand à la manière de certains membres caricaturés du clergé, est-il jeune et beau?

C/ Une première approche du personnage de Tartuffe
Dénonciation paradoxale de l’hypocrisie de Marianne ( 4 formulations différentes : v22-25) mais aveuglement sur l’action du Tartuffe.
Parmi les thèmes abordés dans la pièce, l'hypocrisie en est le plus important. On peut classer Le Tartuffe dans la lignée des autres pièces de Molière, L'Avare, Les Précieuses ridicules, Le Bourgeois gentilhomme, Le Misanthrope, destinées à dépeindre et ridiculiser un vice (comédie de caractère). Molière précise dans son introduction que son objectif premier est de dépeindre « un méchant homme ». Il précise en outre que « l'hypocrisie est dans l'Etat, un vice bien plus dangereux que tous les autres ». Un hypocrite est une personne dont les actes ne correspondent pas à la pensée. Tartuffe est un personnage qui ne révèle pas ses sentiments intérieurs. Molière va donc pendant deux actes présenter Tartuffe au travers des descriptions qu'en font les autres personnages sans jamais le montrer. Son objectif est clairement avoué : que le spectateur se fasse une opinion du personnage avant que celui-ci n'apparaisse. Dès la première scène, le personnage est campé, décrit par Damis comme un « cagot de critique » (Un cagot est un faux dévot, un hypocrite; un cagot de critique est un hypocrite qui se mêle de tout critiquer). Le spectateur connait déjà la duplicité de ce faux dévot et se demande seulement comment « les honnêtes gens » vont réussir à mettre à jour sa supercherie.

III Une forte théâtralité : une ouverture comique (rappel sur la comédie)
A/ Répartition dynamique de la parole
Le spectateur peut se faire une opinion par dessus la tête des personnages qui pourtant se parlent entre eux. Il discerne en Mme Pernelle un personnage négatif, qui défend justement Tartuffe.

B/ Le ridicule de Mme Pernelle : parole et gestuelle

Flipote au nom très significatif, ne parle pas : sorte de pantin houspillé par sa maîtresse, source de comique gestuel, farcesque.
Début très comique : sorte de ballet, effets mécaniques des arrêts brutaux de mme Pernelle ( comique du nom : Peronnelle = Chipie) qui font que tous se heurtent, jeu autour de Flipotte.
Comique farcesque autour de Mme Pernelle : langage imagé souvent grossier ou injurieux (« la cour du Roi Pétaut » v13 « forte en gueule » v15, « sot » v17 etc), contradiction entre les propos et la prétention à la vertu chrétienne (« honnêtes gens » v39, « chemin du ciel » v54), comique satirique des portraits.
Très peu de didascalies car Molière travaillait avec les comédiens, grande liberté de mise en scène :

C/ De multiples mises en scènes :
2004-2005 : à la Comédie Française par M. Bozonnet, choc car le comédien qui joue Orgon est noir.
1980-1985 : Théâtre du Soleil, A. Mnouchkine, Transposition en Algérie, critique des faux dévots qui s’appliquent à toutes les religions : abus de pouvoir, main mise politique de ceux qui se réclament de la foi.

Séance 2. Molière, Tartuffe, IV, 5-7, v1477-1543
Molière, Tartuffe, Acte IV, scène 5, 6, 7

TARTUFFE
Mais si d'un oeil bénin vous voyez mes hommages,
Pourquoi m'en refuser d'assurés témoignages?

ELMIRE
Mais comment consentir à ce que vous voulez,
1480 Sans offenser le Ciel, dont toujours vous parlez?

TARTUFFE
Si ce n'est que le Ciel qu'à mes voeux on oppose,
Lever un tel obstacle, est à moi peu de chose,
Et cela ne doit pas retenir votre coeur.

ELMIRE
Mais des arrêts du Ciel on nous fait tant de peur.

TARTUFFE
1485 Je puis vous dissiper ces craintes ridicules,
Madame, et je sais l'art de lever les scrupules.
Le Ciel défend, de vrai, certains contentements;
(C'est un scélérat qui parle.)
Mais on trouve avec lui des accommodements.
Selon divers besoins, il est une science,
1490 D'étendre les liens de notre conscience,
Et de rectifier le mal de l'action
Avec la pureté de notre intention.
De ces secrets, Madame, on saura vous instruire;
Vous n'avez seulement qu'à vous laisser conduire.
1495 Contentez mon désir, et n'ayez point d'effroi,
Je vous réponds de tout, et prends le mal sur moi.
Vous toussez fort, Madame.

ELMIRE
Oui, je suis au supplice.

TARTUFFE
Vous plaît-il un morceau de ce jus de réglisse?

ELMIRE
C'est un rhume obstiné, sans doute, et je vois bien
1500 Que tous les jus du monde, ici, ne feront rien.

TARTUFFE
Cela, certes, est fâcheux.

ELMIRE
Oui, plus qu'on ne peut dire.

TARTUFFE
Enfin votre scrupule est facile à détruire,
Vous êtes assurée ici d'un plein secret,
Et le mal n'est jamais que dans l'éclat qu'on fait.
1505 Le scandale du monde, est ce qui fait l'offense;
Et ce n'est pas pécher, que pécher en silence.

ELMIRE, après avoir encore toussé.
Enfin je vois qu'il faut se résoudre à céder,
Qu'il faut que je consente à vous tout accorder;
Et qu'à moins de cela, je ne dois point prétendre

1510 Qu'on puisse être content, et qu'on veuille se rendre.
Sans doute, il est fâcheux d'en venir jusque-là,
Et c'est bien malgré moi, que je franchis cela:
Mais puisque l'on s'obstine à m'y vouloir réduire,
Puisqu'on ne veut point croire à tout ce qu'on peut dire,
1515 Et qu'on veut des témoins qui soient plus convaincants,
Il faut bien s'y résoudre, et contenter les gens.
Si ce consentement porte en soi quelque offense,
Tant pis pour qui me force à cette violence;
La faute assurément n'en doit pas être à moi.

TARTUFFE
1520 Oui, Madame, on s'en charge, et la chose de soi...

ELMIRE
Ouvrez un peu la porte, et voyez, je vous prie,
Si mon mari n'est point dans cette galerie.

TARTUFFE
Qu'est-il besoin pour lui, du soin que vous prenez?
C'est un homme, entre nous, à mener par le nez.
1525 De tous nos entretiens, il est pour faire gloire,
Et je l'ai mis au point de voir tout, sans rien croire.

ELMIRE
Il n'importe, sortez, je vous prie, un moment,
Et partout, là dehors, voyez exactement.

SCÈNE VI
ORGON, ELMIRE

ORGON, sortant de dessous la table.
Voilà, je vous l'avoue, un abominable homme!
1530 Je n'en puis revenir, et tout ceci m'assomme.

ELMIRE
Quoi! vous sortez sitôt? Vous vous moquez des gens.
Rentrez sous le tapis, il n'est pas encor temps;
Attendez jusqu'au bout, pour voir les choses sûres,
Et ne vous fiez point aux simples conjectures.

ORGON
1535 Non, rien de plus méchant n'est sorti de l'Enfer.

ELMIRE
Mon Dieu, l'on ne doit point croire trop de léger ;
Laissez-vous bien convaincre, avant que de vous rendre,
Et ne vous hâtez point, de peur de vous méprendre.
(Elle fait mettre son mari derrière elle.)

SCÈNE VII
TARTUFFE, ELMIRE, ORGON.

TARTUFFE
Tout conspire, Madame, à mon contentement:
1540 J'ai visité, de l'oeil, tout cet appartement,
Personne ne s'y trouve, et mon âme ravie...

ORGON, en l'arrêtant.
Tout doux, vous suivez trop votre amoureuse envie,
Et vous ne devez pas vous tant passionner.




Introduction : Elmire a déjà été abordée par Tartuffe, mais le témoignage de son fils n’a pas suffi et a incité Orgon à donner tous ses biens à Tartuffe ! Elmire a réussi à convaincre son mari de se cacher sous la table pour voir que Tartuffe n’est pas l’homme pieux de l’imagination d’Orgon, en insistant pour qu’Orgon se manifeste dès que les tentatives de séduction de Tartuffe seront trop explicites. Nous sommes à la fin de la scène 5, et Elmire ne sait plus comment résister, alors que son mari n’intervient pas… 1477-1520 : séduction de Tartuffe / 1521-1543 : intervention d’Orgon
Pb : la révélation du faux dévot

La casuistique de Tartuffe : la répartition de la parole est à son avantage ; c’est lui qui courtise Elmire et cette dernière ne veut et ne peut pas répondre longuement pour ne pas donner l’impression que c’est elle qui séduit Tartuffe (position défensive : « mais » v1479, 1484, 1513, « enfin » v1507, « Il n’importe » v1527
Casuistique : c’est la science d’analyser quelle est la bonne action à faire dans des « cas » particuliers (d’où le nom). La casuistique a surtout été employée par les Jésuites au XVIIe, lorsqu’ils donnaient des conseils moraux et spirituels aux particuliers. Lors des attaques portées contre eux, on a évoqué leur art subtil de trancher les cas de conscience dans le sens d'une morale relâchée, en contradiction avec les principes du Christianisme. Ici Tartuffe utilise des formules proches. On comprend que la pièce ait été attaquée par les dévots et les Jésuites. Entre le v1486 et 1487, didascalie « (« C’est un scélérat qui parle ») spécialement adressée aux lecteurs de la censure, pour montrer que Molière se désolidarise des propos de Tartuffe (pour ne pas être traité d’impie) et que Tartuffe n’est pas un casuiste habituel (pour ne pas être accusé de calomnie par les Jésuites).
Il utilise son rôle de conseiller moral pour inciter Elmire à tromper son mari ! Casuistique prend le nom ironique d’ « art de lever les scrupules » v1486 ou encore de « science / d’étendre les liens de notre conscience / Et de rectifier le mal de l’action »

Plan de l’argumentation : objections d’Elmire (domaine religieux) à laquelle Tartuffe répond
1.en s’impliquant personnellement en tant qu’homme savant et vertueux (« à moi » v1482, « je puis » v1485, « je sais » v1486, « je vous répond de tout » v1495, « ici » (qui désigne plus Tartuffe que le lieu) v1503)
2.en développant une argumentation : concessions ( « de vrai » v1487) et accumulations d’arguments (« Et le mal… Et ce n’est pas pêcher… » v1504-1506 « et la chose de soi… » v1520). Donne 2 arguments principaux (typiques d’un hypocrite) :
a.« rectifier le mal de l’action / avec la pureté de notre intention » (v1491-1492) : les actes ne peuvent être mauvais si l’intention est bonne
« Ce n’est pas pêcher que pécher en silence » (v1506) : la morale n’est que la réputation

L’attente d’Elmire et la révélation de l’imposture : le spectateur attend le dénouement favorable et est surpris par la longueur de la scène.
triple énonciation : Elmire s’adresse 1) apparemment à Tartuffe 2) en fait à son mari caché 3) au lecteur. Jeu des pronoms (surtout v1507-1519)
effet d’attente et de surprise : il y a eu déjà une 1ère scène de séduction à l’acte III. Le lecteur/spectateur compare et imagine le dénouement. Non intervention d’Orgon. Théâtralité de l’intervention d’Orgon.
la révélation du corps : alors que dans le reste de la pièce, Tartuffe se fait passer pour un dévot qui déteste les choses charnelles (« cachez ce sein que je ne saurais voir ! » dit-il à Dorine), il révèle ici pleinement son attirance pour le corps. La scène se termine d’ailleurs dans un corps-à-corps :
1477-1520 : importance prédominante du discours chez Tartuffe : derrière les périphrases (= manière détournée de parler), on devine pourtant qu’il parle des relations sexuelles qu’il veut imposer à Elmire : « assurés témoignages » v1478, « contentez mon désir » v1495 « mon contentement » v1539
V1521-1543 : importance prédominante du corps : Elmire subit les avances de Tartuffe (Braunschweig achève ainsi la scène par un baiser) / Tartuffe sort et rentre / Orgon sort, se cache et « arrête » Tartuffe.
Ccl : importance de la notion de témoignage : Tartuffe veut qu’Elmire témoigne de son amour par des actes // Orgon veut un témoignage en acte de la culpabilité de Tartuffe. Elmire est dans une position intermédiaire ; elle est le corps qu’utilisent ces 2 hommes et on sent ce statut de corps-objet dans la tirade du V1507-1519 : elle joue sur les mots :
« on puisse être content » v1510 : Tartuffe content d’avoir une relation avec Elmire / Orgon assuré de l’imposture de Tartuffe
« on veut des témoins plus convaincants » : témoins = le corps d’Elmire, témoin de son « amour » pour Tartuffe / témoin de l’hypocrisie de Tartuffe
« Tant pis pour qui me force à cette violence » : qui = Tartuffe la violentant / Orgon le laissant faire

Souligner l’aspect pathétique de ce discours de la femme sacrifiée : avec une amplification dans son discours : « Enfin …. Sans doute….. Mais puisque….. puisque… et que…. » avec une chute sur des mots qui contrastent par leur netteté par rapport au reste du discours : utilisation du mot « violence » et finale sur « La faute assurément n’en doit pas être à moi ». Aspect sacrificiel souligné dans la mise en scène de Braunschweig (TNS, 2008).


Un comique multiforme :
Comique de situation : Tartuffe qui croit à son bonheur / Orgon qui n’intervient pas / Astuce d’Elmire et fin heureuse
comique de geste : pieds, toussotements, sortie de sous la table
comique de mots :
Tartuffe : confusion du style soutenu et des intentions crues. Cela se révèle par exemple :
Par des réactions inappropriées : il propose du réglisse (guérison matérielle) contre la toux d’Elmire
Par des sous-entendus que peut exploiter la mise en scène : ex répétition de « lever » v1482 « lever les scrupules » et v1486 « lever un tel obstacle »
Elmire :
mots à double entente v1498 « Oui je suis au supplice ». v1513 « Mais puisqu’on s’obstine à m’y vouloir réduire » : le « on » ne désigne pas le séducteur Tartuffe à qui l’on cède, mais Orgon, le mari qui n’intervient pas.
Ironie et antiphrase envers son mari : « Quoi vous sortez si tôt ! » v1531-1535

Bilan sur les mises en scènes étudiées:
Metteur en scène
Temps
Lieu
Particularités et effets
Mnouchkine, 1980
Moderne:1960's
Algérie
Dimension politique (monde colonial et islam)
Bozonnet, 2004
Historiciste
Décor neutre
Polémique liée au personnage d'Orgon, représenté par un acteur noir (Savaré)
Planchon, 1976
Historiciste
Décor théâtral
Insistance sur les symboles
Villégier, 1999
Moderne: 1960's
Intérieur de maison
Insistance sur l'intimité
Charon, 1972
Historiciste
Intérieur de maison
Très classique. Reconstitution du contexte
Braunschweig, 2008
Moderne: 1990's
Intérieur de maison
La maison s'« enfonce ». Insistance sur la psychologie des personnages et le drame familial


La mise en scène de Bozonnet, 2004 pour Tartuffe, acte IV, sc 6
Séance 3. Victor Hugo, Ruy Blas, III, 3-5, v1276-1308 de « Adieu » à « Bonjour »
Présentation de la pièce à travers Hernani (1830):
Bataille d'Hernani: un des actes fondateurs du romantisme: bataille sur le goût entre les spectateurs conservateurs et les jeunes romantiques enthousiastes. Voir Romantisme
Premier vrai drame romantique (les principes sont édictés dans la préface de Cromwell, 1827). Voir Drame romantique
Pièce historique sur l'Espagne en 1550 (goût des romantiques pour l'évasion dans l'espace et dans le temps // RB Espagne 1699). Description du début de l'Empire Espagnol (avec une image positive de la monarchie correspondant aux sentiments royalistes du jeune Victor Hugo); de même RB décrit la décadence de cet empire (le roi est absent et ne fait que chasser, les ministres gouverne pour leur propre intérêt); en 1838, Hugo a perdu ses illusions sur la royauté et devient républicain (Voir Victor Hugo, sa biographie et son rôle d'opposant au IInd Empire)

Situation:
Acte I: RB prend le costume de César
Acte II: la Reine s'ennuie et reconnaît en RB son amant
Acte III. Puissance de RB et bonheur des amants____ Mais retour de Don Salluste
Acte IV: DS élimine Don César
Acte V: et s'apprête à éliminer les amants, mais RB le tue et se suicide.
==> on passe de la période positive (Acte I, II, III) à la période tragique et négative (acte III, IV, V)

Lecture:

La Reine, elle baise Ruy Blas au front
Adieu.
Scène IV - Ruy Blas, seul.
Il est comme absorbé dans une contemplation angélique.
Devant mes yeux c'est le ciel que je voi !
De ma vie, ô mon Dieu ! Cette heure est la première.
Devant moi tout un monde, un monde de lumière,
Comme ces paradis qu'en songe nous voyons,
1280 - S'entr'ouvre en m'inondant de vie et de rayons !
Partout en moi, hors moi, joie, extase et mystère,
Et l'ivresse, et l'orgueil, et ce qui sur la terre
Se rapproche le plus de la divinité,
L'amour dans la puissance et dans la majesté !
1285 - La reine m'aime ! Ô Dieu ! C'est bien vrai, c'est moi-même !
Je suis plus que le roi puisque la reine m'aime !
Oh ! Cela m'éblouit. Heureux, aimé, vainqueur !
Duc d'Olmedo, – l'Espagne à mes pieds, – j'ai son coeur !
Cet ange, qu'à genoux je contemple et je nomme,
1290 - D'un mot me transfigure et me fait plus qu'un homme.
Donc je marche vivant dans mon rêve étoilé !
Oh ! Oui, j'en suis bien sûr, elle m'a bien parlé.
C'est bien elle. Elle avait un petit diadème
En dentelle d'argent. Et je regardais même,
1295 - Pendant qu'elle parlait, – je crois la voir encor, –
Un aigle ciselé sur son bracelet d'or.
Elle se fie à moi, m'a-t-elle dit. – pauvre ange !
Oh ! S'il est vrai que Dieu, par un prodige étrange,
En nous donnant l'amour, voulut mêler en nous
1300 - Ce qui fait l'homme grand à ce qui le fait doux,
Moi, qui ne crains plus rien maintenant qu'elle m'aime,
Moi, qui suis tout-puissant, grâce à son choix suprême,
Moi, dont le coeur gonflé ferait envie aux rois,
Devant Dieu qui m'entend, sans peur, à haute voix,
1305 - Je le dis, vous pouvez vous confier, madame,
À mon bras comme reine, à mon coeur comme femme !
Le dévouement se cache au fond de mon amour
Pur et loyal ! – allez, ne craignez rien ! –
Depuis quelques instants, un homme est entré par la porte du fond, enveloppé d'un grand manteau, coiffé d'un chapeau galonné d'argent. Il s'est avancé lentement vers Ruy Blas sans être vu, et, au moment où Ruy Blas, ivre d'extase et de bonheur, lève les yeux au ciel, cet homme lui pose brusquement la main sur l'épaule. Ruy Blas se retourne comme réveillé en sursaut ; l'homme laisse tomber son manteau, et Ruy Blas reconnaît don Salluste.
Don Salluste est vêtu d'une livrée couleur de feu à galons d'argent, pareille à celle du page de Ruy Blas.
Scène V - Ruy Blas, Don Salluste
Don Salluste, posant la main sur l’épaule de Ruy Blas
Bonjour

I.La consécration de Ruy Blas
Consécration = 1) action de rendre qqch sacré 2) apogée (pour une carrière)

1.Un monologue amoureux
Monologue de bonheur de Ruy Blas. Autre monologue: p126; délibération tragique.
Enonciation: monologue, mais v1305 s'adresse directement à « madame », à la Reine (elle, la --> nous --> vous)
Lyrisme amoureux (fortement développé dans la période romantique):
« moi » (en anaphore v1301-1303)
exclamations et interjections: « Oh! » v1287, 1292, 1298 au début du vers
lexique de l'amour: polyptote (répétition de mots déclinés en noms, adj, verbes...) autour du verbe « aimer »: « l'amour » v1284 « m'aime » v1285 « m'aime » v1286 « aimé » v1287 « l'amour » v1299 « m'aime » v1301 « mon amour » v1307

2.Amour et politique
RB entremêle les domaines sentimental et politique (« dévouement pur et loyal » « duc d'Olmedo, l'Espagne à mes pieds »...). Ex: parallélisme et hyperbole renforcés par la césure (marquée //:séparation d'un alexandrin en 2: 6 + 6):
v1286 « Je suis plus que le roi // puisque la reine m'aime »
v1306 « A mon bras comme reine, // à mon coeur comme femme »

3.Une extase romantique
vocabulaire religieux (« ange » en didascalie, v1289, v1297; « dieu » et « divinité » v1277, 1283, 1298, 1304. « Tout-puissant »)
Abolition des limites, propre au romantisme qui refuse les limites établies: RB est un valet qui rêve de l'impossible (fréquenter les degrés les + élevés de l'échelle sociale)/ Ex:
v1281: réunion en accumulation de 1 termes antithétiques: « en moi, hors moi »
v1291: « Donc je marche vivant // dans mon rêve étoilé » Opposition avec la césure entre terrestre (marche) / céleste (étoilé), réalité (vivant) / rêve (rêve). Renforcé par la structure de la phrase: donc / dans; vivant (adj) / étoilé (adj); je / mon.
- transition: le vocabulaire de la vision: vision d'extase, mais RB revit aussi la scène précédente (le baiser de la reine). Lexique de la vision et verbe de perception (les remarques de RB sont des didascalies internes, cad des indications pour la mise en scène (de la sc précédente) glissées à l'intérieur du texte joué. Au final, DS vient lui rappeler que tout ce qu'il a vécu était effectivement une illusion.

II.Un coup de théâtre bouleversant
1.Un effet de surprise
« amour » n'a pas de rimes dans le monologue de RB (avec « toujours » par ex), c'est DS qui intervient pour l'ajouter. « Amour » rime la + importante. Derniers mots de RB « ne craignez rien » ==> ironie.
Scénographie: opposition « lentement » / « au moment où » « brusquement » « en sursaut »

2.Accentué par des oppositions
opposition « Adieu » (v1276) / « bonjour » (v1308) ==> effet d'encadrement. Ce monologue est incomplet à son début et à sa fin: il est une transition entre 2 périodes: période heureuse symbolisée par le « adieu » de la Reine (et le baiser que RB cherche à se remémorer tout au long du passage
opposition brièveté des répliques d'encadrement / longueur du monologue
contraste rêve / réalité. « mon rêve étoilé » / « réveillé en sursaut »

3.pour mettre en valeur le changement du rapport de pouvoir
importance du passage dans la pièce: retour du tragique et du funeste, alors que jusqu'ici on insistait sur l'ascension de RB
inversion des attributs: Hugo fait intervenir DS en livrée de laquais, pour rappeler l'inversion qui a été faite (et du coup la remise en ordre qui va intervenir): le valet en costume de noble va redevenir valet. Le noble caché sous un costume de laquais va retrouver sa place de noble. Note: cette symbolique des costumes se trouve aussi chez la Reine, où le diadème symbolise la royauté et l'aigle ciselé est traditionnellement le symbole de l'Empire
Séance 4. Victor Hugo, Ruy Blas, V, 4, v2333 à la fin
Que voulez-vous ?
Ruy Blas, joignant les mains.
Que vous me pardonniez, madame !
La Reine.
Jamais.
Ruy Blas.
Jamais !
Il se lève et marche lentement vers la table.
Bien sûr ?
La Reine.
Non, jamais !
Ruy Blas.
Il prend la fiole posée sur la table, la porte à ses lèvres et la vide d'un trait.
Triste flamme,
Éteins-toi !
La Reine, se levant et courant à lui.
Que fait-il ?
Ruy Blas, posant la fiole.
Rien. Mes maux sont finis.
Rien. Vous me maudissez, et moi je vous bénis.
Voilà tout.
La Reine, éperdue.
Don César !
Ruy Blas
Quand je pense, pauvre ange,
Que vous m'avez aimé !
La Reine.
Quel est ce philtre étrange ?
Qu'avez-vous fait ? Dis-moi ! Réponds-moi ! Parle-moi !
2240 - César ! Je te pardonne et t'aime, et je te croi !
Ruy Blas.
Je m'appelle Ruy Blas.
La Reine, l'entourant de ses bras.
Ruy Blas, je vous pardonne !
Mais qu'avez-vous fait là ? Parle, je te l'ordonne !
Ce n'est pas du poison, cette affreuse liqueur ?
Dis ?
Ruy Blas.
Si ! C'est du poison. Mais j'ai la joie au coeur.
Tenant la reine embrassée et levant les yeux au ciel.
Permettez, ô mon Dieu, justice souveraine,
Que ce pauvre laquais bénisse cette reine,
Car elle a consolé mon coeur crucifié,
Vivant, par son amour, mourant, par sa pitié !
La Reine.
Du poison ! Dieu ! C'est moi qui l'ai tué ! – je t'aime !
2250 - Si j'avais pardonné ? ...
Ruy Blas, défaillant.
J'aurais agi de même.
Sa voix s'éteint. La reine le soutient dans ses bras.
Je ne pouvais plus vivre. Adieu !
Montrant la porte.
Fuyez d'ici !
– Tout restera secret. – je meurs.
Il tombe.
La Reine, se jetant sur son corps.
Ruy Blas !
Ruy Blas, qui allait mourir, se réveille à son nom prononcé par la reine.
Merci !

Le drame des sentiments se précipite
Stichomythie : le 2ème vers contient 5 répliques! Très peu de répliques commencent le vers. Signification:
Accélération de l’histoire (// le poison fait que Ruy Blas n’a plus beaucoup de temps à vivre)
Les discours des 2 amoureux sont entremêlés. Hugo a préféré un dialogue des 2 amants à une tirade de l'un ou l'autre (par exemple une tirade de Ruy Blas mourant). La dimension de communication est privilégiée, et la stichomythie donne l'impression qu'on ne peut pas démêler les 2 discours.

le pathétique :
mouvements (exprimés par les didascalies : pitié « joignant les mains » « éperdue » « se jetant sur son corps », « levant les yeux au ciel » ; amour « l’entourant » « embrassée », mouvements spectaculaires « lentement » opposé à « d’un trait » et chute du corps « défaillant »  « tombe »  « se réveille »
phrases courtes (étouffées par les sentiments), exclamatives et interrogatives
expression des sentiments:contraste amour de RB / mépris de la Reine, puis revirement soudain. Vocabulaire amoureux: importance de « je t'aime » allitérations associant moi/mal (RB) ou moi/amour (Reine) ex v2236 Mes maux sont finis. / Rien. Vous me maudissez, et moi.

- les recettes du mélodrame(voir ce terme) :
le poison (répété plusieurs fois, pour que le lecteur/spectateur s’en convainque : « philtre étrange » 2238, « liqueur » 2243 , « ce n’est pas du poison » 2243 / « c’est du poison » 2244 (parallélisme des structures qui souligne l’antithèse grâce à l’emploi de l’adverbe négatif)
le baiser, l’étreinte amoureuse
(précision: à ces 2 dimensions, horreur / attendrissement, correspondent les 2 personnages de la pièce aux traits forcés et à la psychologie simple: Don Salluste le cruel / La Reine pleine de joie de vivre.

Une scène finale tragique ?
le tragique :
finalement RB n’échappe pas à la malédiction qui pesait sur son sort
L’obstacle à leur amour est levé (DS a été tué par RB)
Pourtant RB se suicide… Son sacrifice est donc inutile. Il précise « j’aurai agi de même » v2250 « je ne pouvais plus vivre » v2251



le bonheur dans la mort
(conception de l’amour romantique : Roméo et Juliette de Shakespeare).
Alliance d'ppositions antithétiques : « affreuse liqueur » / « joie au cœur »(v2243-2244)
Réconciliation. Par exemple avec les noms et le vouvoiement : RB appelle la Reine « madame » (v 2233) puis utilise des adjectifs à valeur affective (« pauvre ange » (v2238) pour elle mis en parallèle avec le « pauvre laquais » (v2246). De même la Reine passe constamment du tu au vous (vous v2233 / tu v2239 / vous v2241 / tu v2242): elle ne sait plus quelle distance affective et sociale imposer à RB, puis finit par le tutoyer (de même, jeu sur les noms: Don César / Ruy Blas)