mardi 19 mai 2009

Séquence 3. Argumenter sur le destin

Séquence 3

Séquence 3. Autour de Candide : argumenter sur le destin et la liberté


Séance 1. Le conte philosophique: désertion et châtiment de Candide

Sur le conte philosophique: voir LL p417


  • Quelles aberrations humaines souligne Voltaire dans ce roman ? Guerre (3, 11 12, 20), Inquisition (6), esclavage (19), vices (19, 22), violence politique (attentats 22, exécutions 23 ; révolutions 11, 24, 30)

  • Dressez le portrait physique et moral de Cunégonde. Que représente-t-elle dans l’action ? 1, 7-13, 27-30

  • Chapitre II, dernier paragraphe. Comment Candide utilise-t-il le terme « liberté ». Quelle est son importance dans le roman ?


On lui met sur-le-champ° les fers aux pieds, et on le mène au régiment. On le fait tourner à droite, à gauche, hausser la baguette, remettre la baguette, coucher en joue, tirer, doubler le pas, et on lui donne trente coups de bâton; le lendemain il fait l’exercice un peu moins mal, et il ne reçoit que vingt coups; ˙le surlendemain on ne lui en donne que dix, et il est regardé par ses camarades comme un prodige.

Candide, tout stupéfait, ne démêlait pas encore trop bien comment il était un héros. Il s'avisa un beau jour de printemps de s'aller promener, marchant tout droit devant lui, croyant que c'était un privilège de l'espèce humaine, comme de l'espèce animale, de se servir de ses jambes à son plaisir. Il n'eut pas fait deux lieues que voilà quatre autres héros de six pieds qui l'atteignent, qui le lient, qui le mènent dans un cachot. On lui demanda juridiquement ce qu'il aimait le mieux d'être fustigé trente-six fois par tout le régiment, ou de recevoir à la fois douze balles de plomb dans la cervelle. Il eut beau dire que les volontés sont libres ; et qu'il ne voulait ni l'un ni l'autre, il fallut faire un choix ; il se détermina, en vertu du don de Dieu qu'on nomme liberté, à passer trente-six fois par les baguettes ; il essuya deux promenades. Le régiment était composé de deux mille hommes ; cela lui composa quatre mille coups de baguette, qui, depuis la nuque du cou jusqu'au cul, lui découvrirent les muscles et les nerfs. Comme on allait procéder à la troisième course, Candide, n'en pouvant plus, demanda en grâce qu'on voulût bien avoir la bonté de lui casser la tête ; il obtint cette faveur ; on lui bande les yeux, on le fait mettre à genoux. Le roi des Bulgares passe dans ce moment, s'informe du crime du patient ; et comme ce roi avait un grand génie, il comprit, par tout ce qu'il apprit de Candide, que c'était un jeune métaphysicien, fort ignorant des choses de ce monde, et il lui accorda sa grâce avec une clémence qui sera louée dans tous les journaux et dans tous les siècles. Un brave chirurgien guérit Candide en trois semaines avec les émollients enseignés par Dioscoride, Il avait déjà un peu de peau et pouvait marcher, quand le roi des Bulgares livra bataille au roi des Abares.


  1. Une satire des armées

  • Plan : enrôlement et désertion. Leitmotiv : la prison, les coups

  • Monde mécanique et inhumain : « on », accumulation de verbes, obsession du nombre

  • Satire du pouvoir arbitraire : fin heureus grâce à un Deus ex machina « Le roi passe dans ce moment »

  1. La candeur du héros

  • jeu des pronoms : Candide est dans un système qu’il ne comprend pas. Effets comiques

  • un « héros » / deux « héros » : confusion sur le terme de héros (litt ou militaire ?)

  • absence de liens logiques : les actions s’enchaînent arbitrairement pr lui (virgules, pt virgule)

  1. Une réflexion sur la liberté

  • La question de la liberté : une liberté sans choix (reflet du providentialisme ambigu de Voltaire)

  • Reflet du rôle du hasard dans les épisodes de Candide

  • Une expliation par les sciences qui cache la souffrance et le désir de liberté du héros :

  • Médecine

  • Juridique

  • Métaphysique


CCL : L’arbitraire est accentué par la candeur du héros


Le conte philosophique :

Histoire fictive, produite par l’auteur dans un but critique.

Ecrit sous forme de conte (permet de se cacher derrière un personnage et d’éviter la censure) « Il y avait en Westphalie… » = début typique. Age d’or = Voltaire ; tendance satirique.


 Lire la synthèse sur les Lumières p130

 3 mars : avoir lu Ruy Blas de Hugo

Séance 2. L’argumentation en dialogue. Candide, l’excipit


  • L'argumentation en dialogue: (là-dessus voir LL p377)

        • suivre l'argumentation:

              • Thèse = « Il faut travailler pour vivre », édictée par le Turc (et repris par Martin puis finalement par Candide. Simplicité (proche du proverbe ou de l'aphorisme) de l'idée, efficace par sa répétition.

              • Le Turc donne 3 arguments: permet d'éviter le besoin, le vice et l'ennui.En fait s'appuie sur toute l'expérience du livre (démonstration par l'absurde: si on se laisse guider naïvement par les événements, on subit des souffrances).

              • Pangloss oppose une démonstration confuse et peu efficace, fondée sur l'accumulation d'exemples (induction)

        • marques du dialogue: DI/DD/DIL/DN? Intérêt du DD ici (

        • Enonciation: qui parle? Qui représente l'avis de l'auteur? L'argumentation est évolutive, dynamique, marquée par les interactions, qui ne suivent pas forcément l'ordre logique: l'affectif joue, on rebondit sur des mots: ex: Candide coupe la parole de Pangloss « Vous savez... _ Je sais... »

  • L'Encyclopédie. Comparaison des articles « destin » du Dictionnaire philosophique (Voltaire) et de l'Encyclopédie

DESTIN, s. m. (Morale & Métaphysique.) est proprement l’ordre, la disposition ou l’enchaînement des causes secondes, ordonné par la Providence, qui emporte l’infaillibilité de l’événement. V. Fatalité

Selon quelques philosophes païens, le destin était une vertu secrète & invisible, qui conduit avec une sagesse incompréhensible ce qui nous paraît fortuit & déréglé ; & c’est ce que nous appelons Dieu. Voyez Dieu.

Les Stoïciens entendaient par la destinée, un certain enchaînement de toutes choses qui se suivent nécessairement & de toute éternité, sans que rien puisse interrompre la liaison qu’elles ont entr’elles. Cette idée confond le nécessaire avec l’infaillible. Voyez .

Ils soumettaient les dieux mêmes à la nécessité de cette destinée ; mais ils définissent plutôt ce que le mot de destinée devait signifier, que ce qu’il signifie dans le langage commun : car les Stoïciens n’avoient nulle idée distincte de cette puissance à qui ils attribuaient ces événements. Ils n’avoient qu’une idée vague & confuse d’un je ne sais quoi chimérique, & d’une cause inconnue à laquelle ils rapportaient cette disposition invariable & cet enchaînement éternel de toutes choses. Il ne peut y avoir aucun être réel qui soit le destin des Stoïciens. Les philosophes païens qui en avoient fabriqué l’idée, supposaient qu’elle existait, sans savoir pourtant précisément ce qu’ils entendaient par cette fatalité inévitable. Les hommes n’osant d’un côté imputer à la Providence les malheurs qu’ils prétendaient leur arriver injustement, & de l’autre ne voulant point reconnaître que c’était leur faute, formèrent le fantôme du destin pour le charger de tout le mal. V. Fortune. Chambers.


Diderot et D’Alembert, Encyclopédie, article « Destin », 1751-1772




DESTIN

De tous les livres de l’Occident qui sont parvenus jusqu’à nous le plus ancien est Homère; c’est là qu’on trouve les moeurs de l’antiquité profane, des héros grossiers, des dieux grossiers faits à l’image de l’homme; mais c’est là que, parmi les rêveries et les inconséquences, on trouve aussi les semences de la philosophie, et surtout l’idée du destin qui est maître des dieux, comme les dieux sont les maîtres du monde.

Quand le magnanime Hector veut absolument combattre le magnanime Achille, et que pour cet effet il se met à fuir de toutes ses forces, alors Jupiter veut sauver le grand Hector qui lui a fait tant de sacrifices, et il consulte les destinées; il pèse dans une balance les destins d’Hector et d’Achille : il trouve que le Troyen doit absolument être tué par le Grec; il ne peut s’y opposer et dès ce moment, Apollon, le génie gardien d’Hector, est obligé de l’abandonner. Ce n’est pas qu’Homère ne prodigue souvent, et surtout en ce même endroit, des idées toutes contraires, suivant le privilège de l’antiquité; mais enfin il est le premier chez qui on trouve la notion du destin. Elle était donc très en vogue de son temps.

Les pharisiens, chez le petit peuple juif, n’adoptèrent le destin que plusieurs siècles après car ces pharisiens eux-mêmes, qui furent les premiers lettrés d’entre les Juifs, étaient très nouveaux. Ils mêlèrent dans Alexandrie une partie des dogmes des stoïciens aux anciennes idées juives. Saint Jérôme prétend même que leur secte n’est pas beaucoup antérieure à notre ère vulgaire.

Les philosophes n’eurent jamais besoin ni d’Homère ni des pharisiens pour se persuader que tout se fait par des lois immuables, que tout est arrangé, que tout est un effet nécessaire. Voici comme ils raisonnaient.

Ou le monde subsiste par sa propre nature, par ses lois physiques, ou un être suprême l’a formé selon ses lois suprêmes: dans l’un et l’autre cas, ces lois sont immuables; dans l’un et l’autre cas, tout est nécessaire; les corps graves tendent vers le centre de la terre, sans pouvoir tendre à se reposer en l’air. Les poiriers ne peuvent jamais porter d’ananas. L’instinct d’un épagneul ne peut être l’instinct d’une autruche; tout est arrangé, engrené et limité.

L’homme ne peut avoir qu’un certain nombre de dents, de cheveux et d’idées; il vient un temps où il perd nécessairement ses dents, ses cheveux et ses idées.

Il est contradictoire que ce qui fut hier n’ait pas été, que ce qui est aujourd’hui ne soit pas; il est aussi contradictoire que ce qui doit être puisse ne pas devoir être.

Si tu pouvais déranger la destinée d’une mouche, il n’y aurait nulle raison qui pût t’empêcher de faire le destin de toutes les autres mouches, de tous les autres animaux, de tous les hommes, de toute la nature; tu te trouverais au bout du compte plus puissant que Dieu.

Des imbéciles disent: Mon médecin a tiré ma tante d’une maladie mortelle; il a fait vivre ma tante dix ans de plus qu’elle ne devait vivre. D’autres, qui font les capables, disent: L’homme prudent fait lui-même son destin.

Mais souvent le prudent succombe sous sa destinée, loin de la faire: c’est le destin qui fait les prudents.

De profonds politiques assurent que si on avait assassiné Cromwell, Ludlow, Ireton, et une douzaine d’autres parlementaires, huit jours avant qu’on coupât la tête à Charles Ier, ce roi aurait pu vivre encore et mourir dans son lit: ils ont raison; ils peuvent ajouter encore que si toute l’Angleterre avait été engloutie dans la mer, ce monarque n’aurait pas péri sur un échafaud auprès de Whitehall, ou salle blanche; mais les choses étaient arrangées de façon que Charles devait avoir le cou coupé.

Le cardinal d’Ossat était sans doute plus prudent qu’un fou des petites-maisons; mais n’est-il pas évident que les organes du sage d’Ossat étaient autrement faits que ceux de cet écervelé? de même que les organes d’un renard sont différents de ceux d’une grue et d’une alouette.

Ton médecin a sauvé ta tante: mais certainement il n’a pas en cela contredit l’ordre de la nature: il l’a suivi. Il est clair que ta tante ne pouvait pas s’empêcher de naître dans une telle ville, qu’elle ne pouvait pas s’empêcher d’avoir dans un tel temps une certaine maladie, que le médecin ne pouvait pas être ailleurs que dans la ville où il était, que ta tante devait l’appeler, qu’il devait lui prescrire les drogues qui l’ont guérie, ou qu’on a cru l’avoir guérie, lorsque la nature était le seul médecin.

Un paysan croit qu’il a grêlé par hasard sur son champ; mais le philosophe sait qu’il n’y a point de hasard, et qu’il était impossible, dans la constitution de ce monde, qu’il ne grêlât pas ce jour-là en cet endroit.

Quelques-uns vous disent: Ne croyez pas au fatalisme, car alors, tout vous paraissant inévitable, vous ne travaillerez à rien, vous croupirez dans l’indifférence, vous n’aimerez ni les richesses, ni les honneurs, ni les louanges; vous ne voudrez rien acquérir, vous vous croirez sans mérite comme sans pouvoir; aucun talent ne sera cultivé, tout périra par l’apathie.

Ne craignez rien, messieurs, nous aurons toujours des passions et des préjugés, puisque c’est notre destinée d’être soumis aux préjugés et aux passions; nous saurons bien qu’il ne dépend pas plus de nous d’avoir beaucoup de mérite et de grands talents que d’avoir les cheveux bien plantés et la main belle; nous serons convaincus qu’il ne faut tirer vanité de rien, et cependant nous aurons toujours de la vanité.

J’ai nécessairement la passion d’écrire ceci; et toi, tu as la passion de me condamner: nous sommes tous deux également sots, également les jouets de la destinée. Ta nature est de faire du mal; la mienne est d’aimer la vérité, et de la publier malgré toi.

Le hibou, qui se nourrit de souris dans sa masure, a dit au rossignol: Cesse de chanter sous tes beaux ombrages, viens dans mon trou, afin que je t’y dévore; et le rossignol a répondu: Je suis né pour chanter ici, et pour me moquer de toi.

Vous me demandez ce que deviendra la liberté. Je ne vous entends pas. Je ne sais ce que c’est que cette liberté dont vous parlez; il y a si longtemps que vous disputez sur sa nature qu’assurément vous ne la connaissez pas. Si vous voulez, ou plutôt, si vous pouvez examiner paisiblement avec moi ce que c’est, passez à la lettre L.


Voltaire, Dictionnaire philosophique, 1764


Sur cet article : résumé par paragraphes :

  • 1-4 : histoire de l’idée

  • 5-8 : illustration philosophique (par les sciences de la nature)

  • 9-15 : contre-argumentation

  • 16-19 : conclusion


Abordent le thème du stoïcisme. L’Encycl le critique (partie argumentative de l’article), tandis que Voltaire défend l’idée de destin de manière polémique.

Séance 3. L'Encyclopédie, article « Réfugié »

Devoir maison. Sujet de bac

LL p124

Corpus:

  • Montesquieu, Les Lettres persanes, 1721 (LL p112)

  • Diderot, Encyclopédie, 1751-1772, article « autorité » (LL p116)

  • Anonyme, Encyclopédie, 1751-1772, article « Réfugiés » (LL p122)


Question de corpus

Intro: réserver une courte intro pour la q° de corpus (texte et pb; 5l). Réserver les intro longues au Commentaire/Dissert. « un thème commun émerge de ces textes » « le texte 2 diffère du 1er sur le thème de / par son traitement de la question de... » « cette idée se dégage nettement du 3ème paragraphe »

  1. Qu'y-a-t-il de commun aux démarches engagées par les trois textes?

Critique du pouvoir (monarchie absolue, alliée à la religion)

  1. Signalez ce qui différencie ces textes sur le plan du genre littéraire auquel ils appartiennent. Quelle force spécifique possède chacun des deux genres?

Article de l'Encyclopédie: définir l'Encyclopédie et ses buts

Roman épistolaire: se cacher derrière la fiction (ms la lettre est destinée autant au correspondant fictif qu'au lecteur) et le sentiment d'étrangeté de ce Persan hors de son pays.

Travaux d'écriture

Commentaire composé: (voir feuille): ne pas annoncer les sous parties ds l'intro, ms ds de courtes transitions au début de chaque partie.


Cet article aurait dû être informatif et objectif, mais il possède également une visée argumentative évidente cherchant à convaincre le lecteur. L'objectif est de faire changer les choses dans le pays sur un point bien précis : la révocation de l'édit de Nantes de 1685.


Commentaire

Intro: L’esprit des Lumières. XVIII° siècle (celui de la diffusion des idées, du culte de la raison et du savoir). L'article de l’Encyclopédie, «Réfugiés» représente bien les pensées et le rôle d’un philosophe : ce dernier se donne pour mission d’éclairer la société, de combattre les injustices, de dénoncer l’intolérance et les absurdités. L'article dont l'auteur demeure anonyme tend à définir la notion de réfugiés à partir d'un exemple marquant dans la société française. Il a pour thème la Révocation de l’Edit de Nantes en 1685 par Louis XIV et l’exil qui a suivi pour de nombreux protestants. Mais comment cet article d'histoire et de sociologie se transforme-t-il en une dénonciation politique?
Cet article aurait dû être informatif et objectif, mais il possède également une visée argumentative évidente cherchant à convaincre le lecteur. L'objectif est de faire changer les choses dans le pays sur un point bien précis : la révocation de l'édit de Nantes de 1685.


  1. Un texte informatif?

    1. L'article et sa définition

Dictionnaire; classement alphabétique. Terme à analyser au début, sans article et entre « ... ». Catégorie à laquelle il se rattache entre parenthèse (abréviation): d'autres articles appartiennent aussi à cette cat.


    1. Le contexte historique

La catégorie de l'article est indiquée: Histoire moderne politique

Edit de Nantes 1598 (Henri IV)

Révocation de l'Edit de Nantes = 1685. Acteurs en présence: les protestants (300 000 s'exileront). Le parti religieux (Mme de Maintenon, le confesseur du Roi, Louvois) désignés par « perturbateurs »


    1. Une argumentation en marche

On insiste sur leur qualité d' « exilés » (cad rejetés par un pouvoir) plutôt que sur celle de « réfugiés » (cad leur accueil dans un autre pays)

Cet article se compose de 4 parties:
-L. 1 à 4 Définition du mot «Réfugiés »: l. 1 «C’est ainsi que … »: l’auteur va donner une définition des protestants. L.1 à 5: définition des protestants. Apparence d’article.
-L. 5 à 8 Critique de la Révocation de l’Edit de Nantes: l.5 «priver»: perte de personnes intéressantes intéressantes (artistes, talentueux). L. 8, «il n’est point de bon Français»: le philosophe n’est pas seul à être en désaccord. On commence à trouver des indices de texte argumentatif. Marqueur fort: l'adversatif « Cependant »
-L. 8 à 15 Dénonciation du pouvoir politique et catholique: modalisateurs péjoratifs (assez aveugles, impudents, funeste, mauvais citoyen). Renforce son opinion sur la perte d’hommes industrieux et utiles. sert à nouveau le verbe «priver ». Dénonciation du pouvoir catholique à l. 17: «ils ne peuvent régner qu’a l’ombre de l’ignorance »: « hombre » en relation avec obscurantisme. Texte bascule des Argumentation.
-L.15 à fin Généralisation de la réflexion sur l’intolérance: l. 20: le pouvoir n’accepte pas toutes autres opinions différentes de la sienne. Auteur propose autre type de pouvoir: monarchie parlementaire caractérisée à l. 18 par «gouvernement éclairé ».
Conclusion: cet article a une apparence d’article d’Encyclopédie mais très vite on s’aperçoit que c'est un texte arg. La thèse: La révocation de l'Edit de Nantes. a été une perte pour le royaume de France.

  1. Dénonciation et modération

    1. Le registre polémique

  • Lexique de la violence et lexique violent: « ennemis » « gémisse » « plaie profonde » « honte » « funeste » « sacrifiés » « « réprimé » « punissait » « violence »

  • Question rhétorique (l.21)

  • Attaque contre des personnes et des groupes de personnes.

  • Oppositions bien / mal (voc péjoratif contre les Jésuites, voc mélioratif pour les protestants)

    1. Les techniques d'autocensure:

  • l'auteur est anonyme

  • le sujet n'est pas une dénonciation générale du pouvoir politique monarchique, mais d'un événement précis. L'auteur se place en historien et non en contestataire politique, même si la portée de l'article dépasse largement la révocation de l'Edit de Nantes.

  • Utilisation du conditionnel « si l'on punissait, on verrait » plutôt que « il faut punir »; « devrait être » plutôt que « doit être »


  1. Une critique militante

Elargissement d'un événement précis à un système en général (la monarchie absolue).


    1. Condamnation de l'intolérance religieuse

« toutes les sectes »: assimilation du christianisme à toutes les autres religions.

Valorisation des protestants=/ dévalorisation des catholiques (aveugles, impudents, mauvais citoyens, ennemis de toutes liberté de penser, esprit persécuteur, perturbateurs).


    1. Condamnation du pouvoir politique.

*Le philosophe dénonce directement le pouvoir politique aux l. 12,13, 14 et 18: «Louis XIV en persécutant les protestants… ». Seul nom propre du texte. Roi associé à l’ignorance, au refus de la liberté de penser: l. 16 « les ennemis de toute liberté de penser ».è Remise en cause du pouvoir absolu.
*L’auteur fait proposition de remplacer monarchie absolue par monarchie parlementaire, l. 18: «gouvernement éclairé ».
*C’est une totale remise en cause de l’Ancien Régime.


    1. Promotion des valeurs de la bourgeoisie et des lumières

Valeurs de la bourgeoisie (mais non du peuple) mises en avant par rapport à celles de la noblesse

Voltaire est une des plus grandes fortunes du royaume, et, inspiré par le modèle anglais, un des premiers capitalistes français. Les valeurs prônées par ces philosophes sont souvent celles des bourgeois. L’article valorise le travail, la richesse, et l’industrie — ce qui s’oppose aux valeurs traditionnelles de la noblesse, à savoir, non pas le travail mais les hauts faits d’armes, le refus de toucher au négoce et la terre ainsi que l’agriculture.

Il est de plus indispensable de signaler, pour la compréhension des textes, que la majorité des philosophes venaient de la bourgeoisie et qu’ils s’adressaient à l’origine, quoi qu’en dise l’article Zzuéné et Gens de lettre, à des hommes du même état social qu’eux.

« citoyens » (l.5): appartenance volontaire à une communauté (par opposition à « sujet » qui doit obéir à son supérieur / son roi).Développé en « concitoyens » (l.18), « mauvais citoyens » (l.14) # « citoyens utiles à la patrie » (l.19)). Référence à l'antiquité grecque où les gens vivaient dans des cités démocratiques (d'où le nom de citoyens). Annonce l'utilisation de « citoyen » en 1789.

utilitarisme: Nombreux termes expriment le manque: priver, plaie profonde, sujets utiles,…(protestants réussissaient dans les arts, les ressources -banque-, commerce, artisanat). V utilise arguments. utilitaristes (la France a perdu des gens utiles à la patrie): privée, sujets utiles, perte.


Ccl: Cet article très court constitue un appel à la conscience du lecteur dans un cadre économique et social. Article polémique car il s'attaque directement au nom de Louis XIV. On est loin d'un simple article de dictionnaire informatif.

Séance 4. L’apologue. La Fontaine, « Les grenouilles qui demandent un roi », LL p402-403


Les grenouilles se lassant
De l'état démocratique,
Par leurs clameurs firent tant
Que
Jupin les soumit au pouvoir monarchique.
Il leur tomba du ciel un roi tout pacifique:
Ce roi fit toutefois un tel bruit en tombant,
Que la gent marécageuse,
Gent fort sotte et fort peureuse,
S'alla cacher sous les eaux,
Dans les joncs, les roseaux,
Dans les trous du marécage,
Sans oser de longtemps regarder au visage
Celui qu'elles croyaient être un géant nouveau.
Or c'était un
soliveau,
De qui la gravité fit peur à la première
Qui, de le voir s'aventurant,
Osa bien quitter sa tanière.
Elle approcha, mais en tremblant;
Une autre la suivit, une autre en fit autant:
Il en vint une fourmilière;
Et leur troupe à la fin se rendit familière
Jusqu'à sauter
sur l'épaule du roi.
Le bon sire le souffre et se tient toujours
coi.
Jupin en a bientôt
la cervelle rompue:
«Donnez-nous, dit ce peuple, un roi qui se remue.»
Le monarque des dieux leur envoie une grue,
Qui les croque, qui les tue,
Qui les gobe à son plaisir;
Et grenouilles de se plaindre.
Et Jupin de leur dire:« Eh quoi? votre désir
A ses lois croit-il nous astreindre?
Vous avez dû premièrement
Garder votre gouvernement;
Mais, ne l'ayant pas fait,
il vous devait suffire
Que votre premier roi fut débonnaire et doux
De celui-ci contentez-vous,

De peur d'en rencontrer un pire.»

Introduction: Apologue (voir LL p417)= récit visant à transmettre un message (caractère informatif). La fable est un apologue, caractérisé par sa brieveté (à la différence du conte philosophique par exemple), ses personnages (personnifiant des caractères généralement) et sa forme (récit + moralité).Chez La Fontaine, les fables sont versifiées.

Pb: Comment La Fontaine exprime-t-il sa méfiance du changement politique par de nombreux changements dans cette forme argumentative et poétique qu'est la fable?

I) Un récit plaisant

A. Les effets de la personnification

Le lecteur sait que les grenouilles réfèrent aux hommes (personnification: elles parlent, sont organisées politiquement etc). Aspect plaisant et presque comique.

Par rapport aux textes sources, changements: il n'y a plus les allusions au « jugement » de la Bible: l'aspect sérieux est effacé.

De même La Fontaine enlève les allusions aux monstres mythologiques (Hydre > grue: + de réalisme, aspect naturel renforcé) ainsi que les références trop précises aux dieux (Jupiter > Jupin; surnom affectif)


B. La composition du récit: Aspect de récit (pas de divisions en strophe). 3 changements (verbes de mouvements, marqueurs temporels) successifs. Ruptures successives: v.1-2 / v.3-24 / v.24-37. Déséquilibre de l'ensemble (une rupture rapide, puis un long passage, puis une autre rupture à la fin):

II) Des grenouilles et des hommes

A. Les caractéristiques des grenouilles

Aspect inconstant et sautillant (Qualificatifs). Caractère grégaire (logique de groupe)

Cela est renforcé par la versification alternance de vers de 7 et de 12 syllabes. Impair = déséquilibre. De plus les rimes ne s'adaptent pas à ces changements. C'est un récit sans situations initiale et finale (situations stables): il y a seulement un élément perturbateur et un élément de résolution. La situation stable se trouve paradoxalement au milieu du récit.


B. Les puissants

  • les rois: le 1er est un monarque, le 2ème un tyran (caractéristiques; prise du pouvoir)

  • Jupin = surnom plaisant pour Jupiter. Dignité marquée par son apparition lorsque les vers passent à l'alexandrin (alors que les Grenouilles ont leur vers réservé de 7 syllabes)

    III) Quel enseignement politiques?

    A. Un texte aux sources anciennes

    • Phèdre, Fables « Les Grenouilles qui demandent un Roi »

    • La Bible, Livre de Samuel

Donc la réflexion sur les changements de régime (passage à la Monarchie) et l'intermédiaire des Dieux est déjà ancienne.


B. Une leçon politique conservatrice: mépris du peuple

Rôle de la moralité dans les fables


  1. L'éloge d'une monarchie de droit divin

Rôle de Jupiter dans la fable. La moralité est donnée par Jupiter.


Phèdre, Fables « Les Grenouilles qui demandent un Roi » (environ 600 av JC)

Athènes florissait alors sous des lois justes :
L'excès de liberté vint troubler la cité ;
La Licence rongeait le vieux frein d'autrefois.
Des partis factieux conspirèrent alors,
Le tyran Pisistrate occupa le palais :
Les Athéniens pleuraient leur triste servitude ;
Il n'était pas cruel, mais on trouve bien lourd
Un joug tout inconnu ; tous alors de se plaindre.
Ésope leur conta la fable que voici :
Les grenouilles errant libres dans leurs marais
À grands cris réclamaient à Jupiter un roi
Qui réprimât leurs mœurs dissolues par la force.
Le roi des dieux sourit, puis leur jette un bâton ;
Celui-ci en tombant bruyamment dans l'étang,
Troublant ses eaux, fit peur à l'engeance craintive.
Comme il restait longtemps prisonnier de la vase,

L'une s'en vient, sans bruit, sort la tête de l'eau,
Observe bien le roi, appelle ses compagnes.Elles oublient leur peur, accourent à la nage ;
La troupe sans respect grimpe sur le bâton ;
Après l'avoir souillé de multiples outrages,
D'envoyer chez Jupin chercher un autre roi :
Celui qu'elles avaient leur semblait inutile.
Alors il leur envoie une hydre aux dents cruelles
Qui les dévore à tour de rôle ; en vain, sans forces,
Elles essaient de fuir : la peur les rend sans voix.
En secret donc Mercure est chez Zeus dépêché,
Pour qu'il les vienne aider. Mais le dieu leur répond :
« Vous n'avez pas voulu garder votre bon roi,
Supportez le méchant. » Vous aussi, citoyens,
Tolérez votre mal, de peur qu'en vienne un pire.

Traduction de Henri Tournier



Bible, 1 Samuel, chapitre 8

4 Tous les anciens d’Israël s’assemblèrent, et vinrent auprès de Samuel à Rama. 5 Ils lui dirent: Voici, tu es vieux, et tes fils ne marchent point sur tes traces; maintenant, établis sur nous un roi pour nous juger, comme il y en a chez toutes les nations. 6 Samuel vit avec déplaisir qu’ils disaient: Donne-nous un roi pour nous juger. Et Samuel pria l’Eternel. (...)
10 Samuel rapporta toutes les paroles de l’Eternel au peuple qui lui demandait un roi. 11 Il dit: Voici quel sera le droit du roi qui régnera sur vous. Il prendra vos fils, et il les mettra sur ses chars et parmi ses cavaliers, afin qu’ils courent devant son char; 12 il s’en fera des chefs de mille et des chefs de cinquante, et il les emploiera à labourer ses terres, à récolter ses moissons, à fabriquer ses armes de guerre et l’attirail de ses chars. 13 Il prendra vos filles, pour en faire des parfumeuses, des cuisinières et des boulangères. 14 Il prendra la meilleure partie de vos champs, de vos vignes et de vos oliviers, et la donnera à ses serviteurs. 15 Il prendra la dîme du produit de vos semences et de vos vignes, et la donnera à ses serviteurs. 16 Il prendra vos serviteurs et vos servantes, vos meilleurs bœufs et vos ânes, et s’en servira pour ses travaux. 17 Il prendra la dîme de vos troupeaux, et vous-mêmes serez ses esclaves. 18 Et alors vous crierez contre votre roi que vous vous serez choisi, mais l’Eternel ne vous exaucera point.

Séance 5. L’Essai. Pascal, Pensées LL p380-381

Sur l'essai, voir LL p395


Que l'homme contemple donc la nature entière dans sa haute et plaine majesté, qu'il éloigne sa vue des objets bas qui l'environnent. Qu'il regarde cette éclatante lumière, mise comme une lampe éternelle pour éclairer l'univers, que la terre lui paraisse comme un point au prix du vaste tour que cet astre décrit et qu'il s'étonne de ce que ce vaste tour lui-même n'est qu'une pointe très délicate à l'égard de celui que les astres qui roulent dans le firmament embrassent. Mais si notre vue s'arrête là, que l'imagination passe outre ; elle se lassera plutôt de concevoir, que la nature de fournir. Tout ce monde visible n'est qu'un trait imperceptible dans l'ample sein de la nature. Nulle idée n'en approche. Nous avons beau enfler nos conceptions au-delà des espaces imaginables, nous n'enfantons que des atomes, au prix de la réalité des choses. C'est une sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part. Enfin, c'est le plus grand caractère sensible de la toute puissance de Dieu, que notre imagination se perde dans cette pensée.
Que l'homme, étant revenu à soi, considère ce qu'il est au prix de ce qui est; qu'il se regarde comme égaré dans ce canton détourné de la nature ; et que de ce petit cachot où il se trouve logé, j'entends l'univers, il apprenne à estimer la terre, les royaumes, les vill es et soi-même son juste prix.
Qu'est-ce qu'un homme dans l'infini ?
Mais pour lui présenter un autre prodige aussi étonnant, qu'il recherche dans ce qu'il connaît les choses les plus délicates. Qu'un ciron lui offre dans la petitesse de son corps des parties incomparablement plus petites, des jambes avec des jointures, des veines dans ses jambes, du sang dans ses veines, des humeurs dans ce sang, des gouttes dans ses humeurs, des vapeurs dans ces gouttes ; que, divisant encore ces dernières choses, il épuise ses forces en ces conceptions, et que le dernier objet où il peut arriver soit maintenant celui de notre discours ; il pensera peut-être que c'est là l'extrême petitesse de la nature. Je veux lui faire voir là dedans un abîme nouveau. Je lui veux peindre non seulement l'univers visible, l'enceinte de ce raccourci d'atome. Qu'il y voie une infinité d'univers, dont chacun a son firmament, ses planètes, sa terre, en la même proportion que le monde visible, dans cette terre, des animaux, et enfin des cirons, dans lesquels il retrouvera ce que les premiers ont donné ; et trouvant encore dans les autres la même chose sans fin et sans repos, qu'il se perde dans ses merveilles, aussi étonnantes dans leur petitesse que les autres par leur étendue ; car qui n'admirera que notre corps, qui tantôt n'était pas perceptible dans l'univers, imperceptible lui-même dans le sein du tout, soit à présent un colosse, un monde, ou plutôt un tout, à l'égard du néant où l'on ne peut arriver?
Qui se considérera de la sorte s'effraiera de soi-même, et, se considérant soutenu dans la masse que la nature lui a donnée, entre ces deux abîmes de l'infini et du néant, il tremblera dans la vue de ces merveilles ; et je crois que, sa curiosité se changeant en admiration, il sera plus disposé à les contempler en silence qu'à les rechercher avec présomption.
Car enfin qu'est-ce que l'homme dans la nature ? Un néant à l'égard de l'infini, un tout à l'égard du néant, un milieu entre rien et tout. Infiniment éloigné de comprendre les extrêmes, la fin des choses et leur principe sont pour lui invinciblement cachés dans un secret impénétrable, également incapable de voir le néant d'où il est tiré, et l'infini où il est englouti.


Blaise Pascal, Pensées, 1670, Fragment 230


Lecture analytique:


  1. Un texte structuré autour de la notion d'infini

      1. Plan du texte: A) Infiniment grand B) infiniment petit C) Disproportion

      2. Pour A et B, plan semblable: a) termes désignant l'infini b) élargissement par un mouvement d'amplification


  1. L'essai

    1. Après une expérience mystique à la fin de 1654, Pascal délaisse ses travaux mathématiques et physiques et se consacre à la réflexion philosophique et religieuse. Il écrit pendant cette période, soit à Paris soit dans le couvent des Jansénistes de Port Royal, les Provinciales et les Pensées, ces dernières n’étant publiées qu’après sa mort: Après sa mort, de nombreuses feuilles de papier ont été trouvées lors du tri de ses effets personnels, sur lesquelles étaient notées des pensées isolées, feuilles regroupées en liasses dans un ordre provisoire mais parlant: c'est en cela que l'on peut parler d'essai: Pascal exerce son jugement sur les vérités qui lui sont chères, sans pour autant avoir écrit un système philosophique. La première version de ces notes éparses est imprimée en 1670 sous le titre Pensées de M. Pascal sur la religion et sur quelques autres sujets.

    2. Présence de celui qui écrit: invitation familière « notre, nous » et « je » (l.22); conseils sous forme d'injonctions: « Que l'homme contemple » (l.1) « Qu'il regarde » (l.4); « Qu'il s'étonne » (l.9), « Que l'homme considère » (l.20) « Qu'il apprenne » (l.22)

    3. Ses pensées familières: la souffrance de l'homme, sa petitesse (physique et surtout morale) et sa grandeur (son âme). L'absurdité apparente de l'existence humaine et la nécessité de croire à Dieu.


Transition: cet essai est aussi un texte argumentatif en faveur du christianisme


  1. La volonté de persuasion

      1. Pascal fait dans ses Pensées l'apologie du Christianisme. Il veut donc ici montrer la misère de l'homme; dans les textes suivront, il montrera donc la grandeur de Dieu et la nécessité d'avoir recours à lui. Pour cela, il va utiliser:

      2. Des figures de style pour dramatiser: Vocabulaire admiratif et hyperbole: appel aux extrêmes. Enumérations (l.17-30). Antithèses: partout/nulle part (l.17-18), néant/infini, tout/néant, tiré/englouti

      3. Le champ lexical du mystère: « s'effraiera » l.44 « tremblera » l.46 « contempler en silence » (l.47), « infiniment éloigné » (l.51) « secret impénétrable » (l.52) « incapable » l.53

Séance 6. La délibération. Diderot, Le Fils naturel, p423

Sur la délibération, voir Llp435

Sur l'argumentation en dialogue, voir LL p377




Le héros, Dorval, est confronté à la situation suivante : aimé de Constance, il aime Rosalie, initialement fiancée à Clairville, quelle n’aime plus. Dorval ne veut pas faire le malheur de son ami Clairville, mais cela implique qu’il sacrifie son amour pour Rosalie. Or celle-ci, ruinée par un revers de fortune, est devenue inaccessible pour Clairville. Et Dorval est riche.

ACTE 3 SCENE 9

Dorval, seul _Quel jour d'amertume et de trouble ! Quelle variété de tourments ! Il semble que d'épaisses ténèbres se forment autour de moi et couvrent ce coeur accablé sous mille sentiments douloureux ! ... ô ciel ! Ne m'accorderas-tu pas un moment de repos ! ...
le mensonge, la dissimulation me sont en horreur ; et dans un instant, j'en impose à mon ami, à sa soeur, à Rosalie... que doit-elle penser de moi ? ... que déciderai-je de son amant ? ... quel parti prendre avec Constance ? ... Dorval, cesseras-tu, continueras-tu d être homme de bien ? ... un événement imprévu a ruiné Rosalie ; elle est indigente. Je suis riche, je l'aime, j'en suis aimé. Clairville ne peut l'obtenir... sortez de mon esprit, éloignez-vous de mon coeur, illusions honteuses ! Je peux être le plus malheureux des hommes, mais je ne me rendrai pas le plus vil... vertu ! Douce et cruelle idée ! Chers et barbares devoirs ! ... amitié qui m'enchaîne
et me déchire, vous serez obéie ! ô vertu ! Qu'es-tu, si tu n exiges aucun sacrifice ? Amitié, tu n'es qu'un vain nom, si tu n'imposes aucune loi... Clairville épousera donc Rosalie. (Il tombe presque sans sentiment dans un fauteuil ; il se relève ensuite et il dit :) non, je n'enlèverai point à mon ami sa maîtresse ; je ne me dégraderai point jusque-là, mon coeur m en répond. Malheur à celui qui n'écoute point la voix de son coeur ! ... mais Clairville n'a point de fortune ; Rosalie n'en a plus... il faut écarter ces obstacles. Je le puis ; je le veux. Y a-t-il quelque peine dont un acte généreux ne console ? Ah ! Je commence à respirer ! ... si je n'épouse point Rosalie, qu'ai-je besoin de fortune ? Quel plus digne usage que d'en disposer en faveur de deux êtres qui me sont chers ? Hélas ! à bien juger, ce sacrifice si peu commun n' est rien... Clairville me devra son bonheur ! Rosalie me devra son bonheur ! Le père de
Rosalie me devra son bonheur ! ... et Constance ? ... elle entendra de moi la vérité ; elle me connaîtra ; elle tremblera pour la femme qui oserait s'attacher à ma destinée... en rendant le calme à tout ce qui m'environne, je trouverai sans doute un repos qui me fuit ? ... (Il soupire.) Dorval, pourquoi souffres-tu donc ? Pourquoi suis-je déchiré ? ô vertu ! N'ai-je point encore assez fait pour toi ! Mais Rosalie ne voudra point accepter de moi sa fortune. Elle connaît trop le prix de cette grâce, pour l'accorder à un homme qu'elle doit haïr, mépriser... il faudra donc la tromper ! ... et si je m' y résous, comment y réussir ? Prévenir l'arrivée de son père ? ... faire répandre, par les papiers publics, que le vaisseau qui portait sa fortune était assuré ? ... lui envoyer par un inconnu la valeur de ce qu'elle a perdu ? ... pourquoi non ? Le moyen est naturel ; il me plaît ; il ne faut qu'un peu de célérité. (Il appelle Charles.) Charles ! (Il se met à une table et il écrit.)

Diderot, Le Fils naturel, 1757.



Les indices d'un état émotionnel perturbé

  • ponctuation: exclamation, interrogations, phrases hypothétiques qui ne se terminent pas, points de suspension

  • phrases courtes ==> incertitude, absence de raisonnement développé calmement

  • pronom personnel « je »

  • interjections: « Ô » (l.3, 13, 29), « Hélas » (l.23), « Non » (l.17) ==> agitation


Un monologue transformé en dialogue

Dans les monologues, le personnage se parle à lui-même à voix haute; cet aspect théâtral est ici renforcé par la schizophrénie du personnage qui

  • s'adresse à lui-même comme à une autre personne: « Dorval » (l.7, 29)

  • s'adresse à des entités imaginaires: ciel (l.3) amitié, vertu (l.12, 13, 14, 29), avec des formulations affectives: « chers et barbares de voirs » (l.12)


Les interrogations de Dorval, étapes et arguments

Séance 7. Un apologue moderne: Michel Tournier

Séance 8. La force de l'apologue: « Le Pouvoir des fables » de La Fontaine


CORRECTION DU DEVOIR DES VACANCES DE PÂQUES

Sujet de Bac p417


Corpus:

Texte A. Esope, Fables (Vie av JC), « L'aigle et la renarde »


L'aigle et la renarde

S'étant liés d'amitié, un aigle et une renarde avaient décidé de devenir voisins, afin que l'habitude resserre leurs liens. L'aigle s'éleva donc au sommet d'un grand arbre et y fit sa couvée ; la renarde se glissa dans le buisson au pied de l'arbre pour y mettre bas. Or un jour qu'elle était sortie en quête de pâture, l'aigle dans la disette fondit sur le buisson et ravit les renardeaux, dont il se régala avec ses aiglons. A son retour, la renarde comprit ce qui s'était produit, et s'affligea non pas tant de la mort de ses petits que de son incapacité à la venger : elle qui vivait sur terre ne pouvait en effet pour chasser un volatile. Aussi dut-elle rester à l'écart et s'en tenir au seul recours des impuissants et des faibles: maudire son ennemi. Cependant l'aigle ne tarda pas à subir le châtiment de son manque de foi. Un jour, à la campagne, au cours du sacrifice d'une chèvre, il emporta de l'autel un viscère encore en feu, qu'il ramena dans son aire. A peine l'avait-il déposé parmi les brindilles qu'un vent violent se leva et fit jaillir d'un vieux fétu une flamme brillante ; les aiglons furent consumés, car ils étaient encore trop jeunes pour voler, et tombèrent sur le sol. La renarde se précipita, et sous les yeux de l'aigle les dévora jusqu'au dernier.

La fable montre que les traîtres à l'amitié échappent peut-être à la vengeance de leurs victimes trop faibles, mais ne sauraient se soustraire au châtiment divin.


Texte B. La Fontaine, Fables (1693) « Les Grenouilles qui voulaient un roi »


Les grenouilles se lassant
De l'état démocratique,
Par leurs clameurs firent tant
Que
Jupin les soumit au pouvoir monarchique.
Il leur tomba du ciel un roi tout pacifique:
Ce roi fit toutefois un tel bruit en tombant,
Que la gent marécageuse,
Gent fort sotte et fort peureuse,
S'alla cacher sous les eaux,
Dans les joncs, les roseaux,
Dans les trous du marécage,
Sans oser de longtemps regarder au visage
Celui qu'elles croyaient être un géant nouveau.
Or c'était un
soliveau,
De qui la gravité fit peur à la première
Qui, de le voir s'aventurant,
Osa bien quitter sa tanière.
Elle approcha, mais en tremblant;
Une autre la suivit, une autre en fit autant:
Il en vint une fourmilière;
Et leur troupe à la fin se rendit familière
Jusqu'à sauter
sur l'épaule du roi.
Le bon sire le souffre et se tient toujours
coi.
Jupin en a bientôt
la cervelle rompue:
«Donnez-nous, dit ce peuple, un roi qui se remue.»
Le monarque des dieux leur envoie une grue,
Qui les croque, qui les tue,
Qui les gobe à son plaisir;
Et grenouilles de se plaindre.
Et Jupin de leur dire:« Eh quoi? votre désir
A ses lois croit-il nous astreindre?
Vous avez dû premièrement
Garder votre gouvernement;
Mais, ne l'ayant pas fait,
il vous devait suffire
Que votre premier roi fut débonnaire et doux
De celui-ci contentez-vous,

De peur d'en rencontrer un pire.»


Texte C. La Fontaine, Fables (1693) « Le Pouvoir des fables », v34-70


Dans Athène autrefois peuple vain et léger,
Un Orateur voyant sa patrie en danger,
Courut à la Tribune ; et d'un art tyrannique,
Voulant forcer les coeurs dans une république,
5 Il parla fortement sur le commun salut.
On ne l'écoutait pas : l'Orateur recourut
A ces figures violentes
Qui savent exciter les âmes les plus lentes.
Il fit parler les morts, tonna, dit ce qu'il put.
10 Le vent emporta tout ; personne ne s'émut.
L'animal aux têtes frivoles
Etant fait à ces traits, ne daignait l'écouter.
Tous regardaient ailleurs : il en vit s'arrêter
A des combats d'enfants, et point à ses paroles.
15 Que fit le harangueur ? Il prit un autre tour.
« Cérès, commença-t-il, faisait voyage un jour
Avec l'Anguille et l'Hirondelle :
Un fleuve les arrête ; et l'Anguille en nageant,
Comme l'Hirondelle en volant,
20 Le traversa bientôt. » L'assemblée à l'instant
Cria tout d'une voix : « Et Cérès, que fit-elle ?
- Ce qu'elle fit ? un prompt courroux
L'anima d'abord contre vous.
Quoi, de contes d'enfants son peuple s'embarrasse !
25 Et du péril qui le menace
Lui seul entre les Grecs il néglige l'effet !
Que ne demandez-vous ce que Philippe fait ? »
A ce reproche l'assemblée,
Par l'Apologue réveillée,
30 Se donne entière à l'Orateur :
Un trait de Fable en eut l'honneur.
Nous sommes tous d'Athène en ce point ; et moi-même,
Au moment que je fais cette moralité,
Si Peau d'âne m'était conté,
35 J'y prendrais un plaisir extrême,
Le monde est vieux, dit-on : je le crois, cependant
Il le faut amuser encor comme un enfant.


Texte D. Perrault, préface des Contes (1695), extrait

Tout ce qu'on peut dire, c'est que cette Fable de même que la plupart de celles qui nous restent des Anciens n'ont été faites que pour plaire sans égard aux bonnes moeurs qu'il négligeaient beaucoup. Il n'en est pas de même des contes que nos aïeux ont inventés pour leurs Enfants. Ils ne les ont pas contés avec l'élégance et les agréments dont les Grecs et les Romains ont orné leurs Fables; mais ils ont toujours eu un très grand soin que leurs contes renfermassent une moralité louable et instructive. Partout la vertu y est récompensée, et partout le vice y est puni. Ils tendent tous à faire voir l'avantage qu'il y a d'être honnête, patient, avisé, laborieux, obéissant et le mal qui arrive à ceux qui ne le sont pas. Tantôt ce sont des Fées qui donnent pour don à une jeune fille qui leur aura répondu avec civilité, qu'à chaque parole qu'elle dira, il lui sortira de la bouche un diamant ou une perle; et à une autre fille qui leur aura répondu brutalement, qu'à chaque parole il lui sortira de la bouche une grenouille ou un crapaud. Tantôt ce sont des enfants qui pour avoir bien obéi à leur père ou à leur mère deviennent grands Seigneurs, ou d'autres, qui ayant été vicieux et désobéissants, sont tombés dans des malheurs épouvantables. Quelque frivoles et bizarres que soient toutes ces Fables dans leurs aventures, il est certain qu'elles excitent dans les Enfants le désir de ressembler à ceux qu'ils voient devenir heureux, et en même temps la crainte des malheurs où les méchants sont tombés par leur méchanceté. N'est-il pas louable à des Pères et à des Mères, lorsque leurs Enfants ne sont pas encore capables de goûter les vérités solides et dénuées de tous agréments, de les leur faire aimer, et si cela se peut dire, les leur faire avaler, en les enveloppant dans des récits agréables et proportionnés à la faiblesse de leur âge. Il n'est pas croyable avec quelle avidité ces âmes innocentes, et dont rien n'a encore corrompu la droiture naturelle, reçoivent ces instructions cachées; on les voit dans la tristesse et dans l'abattement, tant que le Héros ou l'Héroïne de Conte sont dans le malheur, et s'écrier de joie quand le temps de leur bonheur arrive; de même qu'après avoir souffert impatiemment la prospérité du méchant ou de la méchante, ils sont ravis de les voir enfin punis comme ils le méritent. Ce sont des semences qu'on jette qui ne produisent d'abord que des mouvements de joie et de tristesse, mais dont il ne manque guère d'éclore de bonnes inclinations.

J'aurais pu rendre mes Contes plus agréables en y mêlant certaines choses un peu libres dont on a accoutumé de les égayer; mais le désir de plaire ne m'a jamais assez tenté pour violer une loi que je me suis imposée de ne rien écrire qui pût blesser ou la pudeur ou la bienséance.


Texte E. Hugo, Châtiments (1853), « Fable ou histoire »


Fable ou Histoire

1 Un jour, maigre et sentant un royal appétit,
Un singe d'une peau de tigre se vêtit.
Le tigre avait été méchant, lui, fut atroce.
Il avait endossé le droit d'être féroce.
5 Il se mit à grincer des dents, criant : « Je suis
Le vainqueur des halliers, le roi sombre des nuits ! »
Il s'embusqua, brigand des bois, dans les épines ;
Il entassa l'horreur, le meurtre, les rapines,
Egorgea les passants, dévasta la forêt,
10 Fit tout ce qu'avait fait la peau qui le couvrait.
Il vivait dans un antre, entouré de carnage.


Question de corpus:

Voici la définition du mot « apologue »: « court réct en prose ou en vers, souvent présenté sous forme allégorique et comportant un enseignement ou une morale ». Vous expliquerez – avec des justifications précises - en quoi les cinq textes se rattachent tous à la définition donnée, mais de manière différente pour certains d'entre eux, puis vous reformulerez l'enseignement de chacun en précisant à quel domaine il fait référence.


Rappel:

  • présentation: faire une intro; respecter les alinéas (3 carreaux à chaque fois qu'on passe à la ligne)

  • la question demandait qu'on s'intéresse pour chaque texte à définir:

        • en quoi il était un apologue

        • quelle était la morale

        • quel était le domaine auquel s'appliquait la morale: c'est là qu'il y a eu le plus d'imprécisions: 1 s'intéresse à l'amitié et aux relations humaines 2 et 5 à la politique et 3 et 4 à la littérature



Ecriture d'invention:

Sous le titre « Apologie de l'apologue », vous rédigerez un article littéraire (ce peut être un extrait d'essai) pour faire l'éloge de l'apologue en tant qu'instrument utile dans l'argumentation. Cet éloge sera l'occasion de mettre en relief les caractéristiques et le fonctionnement de l'apologue, grâce à des exemples pris dans les fables, les contes, les paraboles bibliques, et à l'évocation de situations et de domaines divers. Votre texte comportera entre 50 et 100 lignes.


Notation:

  • Style: /5 (4 pour STG): orthographe et style propre à un article littéraire: on attend pas de vous un article d'encyclopédie ou une synthèse recopiée de votre livre de littérature! On attend un exercice de style, c'est-à-dire un « article littéraire » où les idées sont exposées avec élégance. Exemple à ne pas suivre: « L'apologue est tiré du fond grecobiblique dans lequel on distingue trois sous-genres ». Préférer des formulations qui attirent le lecteur et le font entrer dans la réflexion: « On est souvent surpris devant les histoires qui nous arrivent, et bien incapables d'en tirer une conclusion. C'est à ce moment que la fable joue son rôle dans nos vies bien quotidiennes:... ». Utiliser des questions oratoires; rendre votre texte attractif.

  • Eloge: /4 (3 pour STG): le texte doit être conçu comme un éloge, et non comme un texte simplement informatif.

  • Thèse: /4: le texte doit tendre à montrer que l'apologue est un « instrument utile dans l'argumentation ». Malgré les digressions et les exemples possibles, les arguments doivent apparaître clairement et guider le fil du texte. Exemple d'argument: l'apologue permet de frapper l'imagination et atteindre indirectement le jugement de la personne.

  • Exemples: le sujet demandait plusieurs exemples. Préférer bien expliquer un exemple plutôt que de donner une liste


Dissertation:


Plusieurs auteurs comme Rousseau et Lamartine, ont sévèrement condamné les fables de La Fontaineen récusant leur portée éducative. Rousseau en particulier les accusait d'être incompréhensible et de donner aux enfants de mauvais exemples. Bien avant eux pourtant érasme avait loué l'efficacité des textes de fiction dans l'éducation.

En prenant appui sur les textes du corpus ( l'aigle et la renarde d'Esope; la préface des contes de Perrault; les grenouilles qui demandaient au roi de La Fontaine), vous reprendrez ces deux points de vue opposés pour chercher ce qui peut les étayer et vous direz quel est votre point de vue.


Le sujet appelait un plan dialectique type OUI / NON / SYNTHESE.

Pour information, voici le texte de Rousseau dans Emile ou De l'Education: il permet de trouver des arguments pour le « contre »

Émile n’apprendra jamais rien par cœur, pas même des fables, pas même celles de la Fontaine, toutes naïves, toutes charmantes qu’elles sont ; car les mots des fables ne sont pas plus les fables que les mots de l’histoire ne sont l’histoire. Comment peut-on s’aveugler assez pour appeler les fables la morale des enfants, sans songer que l’apologue, en les amusant, les abuse ; que, séduits par le mensonge, ils laissent échapper la vérité, et que ce qu’on fait pour leur rendre l’instruction agréable les empêche d’en profiter ? Les fables peuvent instruire les hommes ; mais il faut dire la vérité nue aux enfants : sitôt qu’on la couvre d’un voile, ils ne se donnent plus la peine de le lever.
On fait apprendre les fables de la Fontaine à tous les enfants, et il n’y en a pas un seul qui les entende. Quand ils les entendraient, ce serait encore pis ; car la morale en est tellement mêlée et si disproportionnée à leur âge, qu’elle les porterait plus au vice qu’à la vertu. Ce sont encore là, direz-vous, des paradoxes. Soit ; mais voyons si ce sont des vérités.
Je dis qu’un enfant n’entend point les fables qu’on lui fait apprendre, parce que quelque effort qu’on fasse pour les rendre simples, l’instruction qu’on en veut tirer force d’y faire entrer des idées qu’il ne peut saisir, et que le tour même de la poésie, en les lui rendant plus faciles à retenir, les lui rend plus difficiles à concevoir, en sorte qu’on achète l’agrément aux dépens de la clarté.(...)
Passons maintenant à la morale.
Je demande si c’est à des enfants de dix ans qu’il faut apprendre qu’il y a des hommes qui flattent et mentent pour leur profit ? On pourrait tout au plus leur apprendre qu’il y a des railleurs qui persiflent les petits garçons, et se moquent en secret de leur sotte vanité ; mais le fromage gâte tout ; on leur apprend moins à ne pas le laisser tomber de leur bec qu’à le faire tomber du bec d’un autre. C’est ici mon second paradoxe, et ce n’est pas le moins important.
Suivez les enfants apprenant leurs fables, et vous verrez que, quand ils sont en état d’en faire l’application, ils en font presque toujours une contraire à l’intention de l’auteur, et qu’au lieu de s’observer sur le défaut dont on les veut guérir ou préserver, ils penchent à aimer le vice avec lequel on tire parti des défauts des autres. Dans la fable précédente, les enfants se moquent du corbeau, mais ils s’affectionnent tous au renard ; dans la fable qui suit, vous croyez leur donner la cigale pour exemple ; et point du tout, c’est la fourmi qu’ils choisiront. On n’aime point à s’humilier : ils prendront toujours le beau rôle ; c’est le choix de l’amour-propre, c’est un choix très naturel. Or, quelle horrible leçon pour l’enfance ! Le plus odieux de tous les montres serait un enfant avare et dur, qui saurait ce qu’on lui demande et ce qu’il refuse. La fourmi fait plus encore, elle lui apprend à railler dans ses refus.
Dans toutes les fables où le lion est un des personnages, comme c’est d’ordinaire le plus brillant, l’enfant ne manque point de se faire lion ; et quand il préside à quelque partage, bien instruit par son modèle, il a grand soin de s’emparer de tout. Mais, quand le moucheron terrasse le lion, c’est une autre affaire ; alors l’enfant n’est plus lion, il est moucheron. Il apprend à tuer un jour à coups d’aiguillon ceux qu’il n’oserait attaquer de pied ferme.
Dans la fable du loup maigre et du chien gras, au lieu d’une leçon de modération qu’on prétend lui donner, il en prend une de licence. Je n’oublierai jamais d’avoir vu beaucoup pleurer une petite fille qu’on avait désolée avec cette fable, tout en lui prêchant toujours la docilité. On eut peine à savoir la cause de ses pleurs ; on la sut enfin. La pauvre enfant s’ennuyait d’être à la chaîne, elle se sentait le cou pelé ; elle pleurait de n’être pas loup.
Ainsi donc la morale de la première fable citée est pour l’enfant une leçon de la plus basse flatterie ; celle de la seconde, une leçon d’inhumanité ; celle de la troisième, une leçon d’injustice ; celle de la quatrième, une leçon de satire ; celle de la cinquième, une leçon d’indépendance. Cette dernière leçon, pour être superflue à mon élève, n’en est pas plus convenable aux vôtres. Quand vous leur donnez des préceptes qui se contredisent, quel fruit espérez-vous de vos soins ? Mais peut-être, à cela près, toute cette morale qui me sert d’objection contre les fables fournit-elle autant de raisons de les conserver. Il faut une morale en paroles et une en actions dans la société, et ces deux morales ne se ressemblent point. La première est dans le catéchisme, où on la laisse ; l’autre est dans les fables de la Fontaine pour les enfants, et dans ses contes pour les mères. Le même auteur s
uffit à tout.
Composons, monsieur de la Fontaine. Je promets, quant à moi, de vous lire avec choix, de vous aimer, de m’instruire dans vos fables ; car j’espère ne pas me tromper sur leur objet ; mais, pour mon élève, permettez que je ne lui en laisse pas étudier une seule jusqu’à ce que vous m’ayez prouvé qu’il est bon pour lui d’apprendre des choses dont il ne comprendra pas le quart ; que, dans celles qu’il pourra comprendre, il ne prendra jamais le change, et qu’au lieu de se corriger sur la dupe, il ne se formera pas sur le fripon.


  1. Aspects éducatifs de la fable

  • la forme de la fable facilite les apprentissages: une fable est plus simple à faire apprendre à un enfant car elle est amusante, ou fait rêver les plus jeunes dans l'humour des animaux, etc

  • les fables ont un projet éducatif par leur morale: les Fables sont très variées, et proposent une morale fondée sur le réalisme et pas la théorie (de cas pratiques). La Fontaine est reconnu comme une écrivain moraliste (avec La Rochefoucauld et La Bruyère notamment). S'il a pu dédicacer ses fables au dauphin, c'est-à-dire au fils du Roi, ce n'est pas par hasard

  • les fables et le sens critique: les fables ne sont pas toutes naïves comme le dit si bien Rousseau, car elles apprennent aux enfants qu'il faut se méfier des beaux parleurs & des flatteurs en particulier, d'où la morale Le Corbeau et le Renard "Apprenez que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute".


  1. Aspects non éducatifs

  • les morales ne sont pas évidentes dans les contes soit disant pour enfant et même les comptines. Le petit chaperon rouge se clôt sur la mort du méchant loup : que font les enfants de cette morale? Comment la reçoivent-ils? Il ne vient pourtant à l'esprit de personne de ne plus lire de conte aux enfants.

  • La fable n'est pas toujours à prendre au pied de la lettre: la fable peut-être l'occasion d'une réflexion, d'une discussion sur la morale. Par exemple, que penser de cette fourmi qui laisse mourir la cigale : c'est un sujet politique qui est particulièrement d'actualité et qui a eu une grande place dans la campagne présidentielle. La cigale est-elle une assistée et la fourmi celle qui se lève tôt pour travailler? L'attitude un peu désinvolte de la cigale mérite-t-elle la peine de mort car c'est ce à quoi la condamne la fourmi en refusant son aide. De plus, la répartie sarcastique de la fourmi "et bien dansez maintenant" fait d'elle un personnage particulièrement odieux puisqu'elle ironise sur la mort prochaine de la cigale. Rousseau a raison, les fables ne sont pas si évidente à comprendre, faut-il pour cela les laisser de côté et ne choisir que des textes simples voire simplistes pour éduquer et faire réfléchir les enfants?


Un exemple d’un autre sujet :

DISSERTATION

Pensez-vous que l’on retienne les apologues parce qu’ils nous amusent ou parce qu’ils nous instruisent ?


I) La force d’attraction de ce qui amuse paraît primordiale

1) Le jeu est le mode d’apprentissage de l’enfant :

  • Pour le jeune enfant, le jeu est absolument fondamental. L’en priver serait compromettre gravement ses chances de développement intellectuel (recherches des pédopsychiatres cf. Dolto). Bien plus que « cogito ergo sum », nous pourrions nous définir par « ludo ergo sum ».

  • Ex : Déjà présent dans les théories humanistes sur l’éducation (Rabelais, Comenius)

2) L’esprit répugne aux abstractions

  • Difficulté d’intégrer les mathématiques, les concepts philosophiques. On cherche à passer par des images concrètes : parabole <>

  • Ex : Candide permet de cerner la critique de l’optimisme plus facilement que ne le ferait un traité philosophique

3) Ne chercher que l’amusement dans un texte peut se révéler superficiel (signe d’immaturité)

  • Si le jeu est une manière d’accrocher l’attention d’un esprit jeune peu enclin à l’effort intellectuel, il reste cependant limité. Il faut par la suite accepter l’effort de la réflexion sans quoi l’on se cantonne à un amusement inconséquent.

  • Ex : « Le pouvoir des fables » illustre ce nécessaire passage de l’amusement (comme « accroche ») à la réflexion utile (il est urgent de s’inquiéter de la situation politique)



II) Cependant nous retenons les apologues parce qu’ils ne cherchent pas seulement à nous distraire : ces textes ont quelque chose à nous dire

1) Les textes dont on se souvient sont ceux qui ont un effet durable sur notre esprit :

  • Le film ou le roman qui nous fait rire, et seulement cela, a certes le mérite de nous avoir distrait quelques instants. Mais qu’en reste-t-il si ce n’est quelques crampes à la mâchoire ? Celui qui au-delà de l’amusement nous a permis de réfléchir, de mieux comprendre, d’envisager un problème sous un aspect nouveau a en revanche toutes les chances de nous rester en mémoire.

  • Ex : J’ai tout oublié ou presque des « blagues » racontées lors d’une soirée entre amis mais je me souviens encore de… (une fable au choix « La grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le bœuf »)

2) L’amusement ne suffit pas toujours. L’homme cherche des réponses (ou à défaut des questions).

  • Penser que l’Homme peut vivre en ne regardant que Loft Story ou Buffy contre les Vampires , c’est le couper d’une part de lui même. L’Homme s’interroge sur sa place dans le monde, le sens de son existence et pour nourrir sa spiritualité (pas nécessairement religieuse) il a besoin de lire ou d’entendre une parole qui l’aide dans son cheminement.

  • Ex : Ceux qui partent d’Omelas d’U. Le Guin illustre ce propos. A une première partie ludique, s’oppose une seconde où le martyre de l’enfant sacrifié pour le bien de la collectivité nous renvoie aux interrogations concernant les périodes les plus noires de l’histoire du XXe siècle. Que vaut la vie d’un innocent si elle en sauve des milliers ? Que vaut une vie si elle se fonde sur le sacrifice d’un innocent ? Comment porter le poids d’une culpabilité collective ? etc.

3) Acquérir un savoir, développer une technique ou une connaissance passe par le travail, l’effort

  • Que l’on veuille apprendre la musique et il faudra tôt ou tard passer par le solfège et les gammes. Que l’on veuille développer, approfondir sa réflexion et l’on passera par des textes de réflexion. Dans ce cas, l’apologue constitue une invitation à poursuivre une étude.

  • Ex : le récit de Candide reste partiellement incompris si l’on ne fait pas l’effort de saisir en plus la théorie de Leibniz sur l’Optimiste. Il devient indispensable de travailler sur des concepts philosophiques pour comprendre les enjeux du débat entre Voltaire et Leibniz.



III) Quel sens cela a-t-il d’opposer l’instruction et l’amusement ?

Amuser ou instruire : on peut dans un dernier mouvement se demander pour quelles raisons historiques et idéologiques nous tendons à les opposer. S’agit-il bien de deux pôles antinomiques ou ne sont-ils pas « les deux faces d’une même médaille » ?

1) Dans le langage courant, la défiance face au plaisir est toujours de mise

  • Il semble que la société garde encore ce préjugé favorable à la notion d’effort, de peine. L’opposition amusant / sérieux se charge de connotations qui conduisent inévitablement à peu important / important (et pas seulement fait rire / ne fait pas rire).

  • Ex : C’est « pour de rire » disent les enfants. Ca ne compte donc pas réellement. « Passons aux choses sérieuses » phrase clé de l’instruction ou machine à contraindre l’esprit ?

2) N’y a-t-il pas une volonté de donner à culpabiliser celui qui s’amuse ?

  • Le rire est dans la tradition chrétienne hautement suspect. Il est l’affaire du démon. Vouloir apprendre, (et apprendre sur le plan moral), en s’amusant peut donc devenir également suspect.

  • Ex : c’est le thème de l’énigme policière dans Le nom de la rose. Le livre sur le rire, (la comédie) a disparu parce que dangereux (« le sage ne rit qu’en tremblant », le diable ricanant etc.)

3) Voir de nouveau le monde avec des yeux d’enfant

  • L’apologue par sa dimension ludique a le pouvoir de nous rendre nos yeux d’enfant c’est à dire qu’il nous donne à re-découvir le monde, à le voir d’un regard neuf. Le rire nous permet de renouveler le regard que nous portons sur le monde, il réveille notre intelligence. Il nous donne une chance de recommencer, d’améliorer ce que par habitude, lassitude indifférence nous avions laissé se dégrader.

  • Ex : Le gai savoir de Nietzsche ( ?)

Quatrième de couverture
" Toute philosophie qui assigne à la paix une place plus élevée qu'à la guerre, toute éthique qui développe une notion négative du bonheur, toute métaphysique et toute physique qui prétendent connaître un état définitif quelconque, toute aspiration, de prédominance esthétique ou religieuse, à un à-côté, à un au-delà, à un en-dehors, à un au-dessus de, autorisent à se demander si la maladie n'était pas ce qui inspirait le philosophe (...) J'en suis encore à attendre la venue d'un philosophe médecin qui un jour aura le courage d'oser avancer la thèse : en toute activité philosophique il ne s'agissait jusqu'alors absolument pas de trouver la " vérité ", mais de quelque chose de tout à fait autre, disons de santé, d'avenir, de croissance, de puissance, de vie... "


Ou bien (en vrac)

I) Les apologues ont pour mission d’instruire en amusant

Voir corrigé précédent

II) Leur valeur morale (instructive) ne va cependant pas sans difficulté

Cf. critique de Rousseau à l’encontre des Fables de La Fontaine (que retiendra un enfant qui aura entendu la fable « Le loup et l’agneau » ? Contenu nettement immoral

Qui sont les auteurs pour nous donner des leçons ? Peut-on dire que Voltaire avait raison et Leibniz tort ? Caricatural. Le style de l’un est même un critère dangereux. Il plait même s’il se trompe.

III) Le pouvoir d’instruire ne serait-il pas un leurre, un prétexte que se donne l’auteur pour se laisser aller au plaisir d’écrire (et le lecteur au plaisir de la lecture) ?

Cf. au XVIIIe, le refus du statut de roman aux œuvres de fiction (ex. préambule de Le paysan parvenu)

A quoi servent les fables de La Fontaine puisque l’on a déjà celles d’Esope ? Du point de vue de l’enseignement, rien. Il s’agit de réécriture plaisir des mots.




Commentaire

Vous commenterez le texte de La Fontaine « Le pouvoir des fables »



I) la fable se construit selon un schéma complexe de récit enchâssé

1) Structure générale

  • Un fil conducteur : le récit de ce que fait l’orateur :

v.1-4 parle sans être écouté

v.10-15 changement de tactique

v.20-31 parle et est écouté

  • 2 discours enchâssés

v.5-9 discours non écouté

v.16-20 fable de Cérès

  • hors récit, la morale du fabuliste v.32-37

2) Les indices de la parole et leur sens

  • Qui est l’orateur : (v.2) manifeste une forte volonté de s’exprimer (v.15 « harangueur »)

« art tyrannique » v.3 « parla fortement » v.5 « figures violentes » v.7 « fit parler les morts » v.9

Texte oppose force rhétorique et absence d’effet v.11-12 « ne daignait l’écouter »

  • Comment il s’adapte v.15 « il prit un autre tour ». Noter le D.D. (au lieu du récit de sa tentative de discours) quand le discours agit, on le restitue tel quel. Permet de mieux saisir en quoi ce discours est percutant (au sens 1er le lecteur lui aussi entend enfin l’orateur)

3) Le dialogue avec la foule

  • Quand la parole de l’orateur est entendue, celle de la foule répond dialogue instauré

v.20-21 « cria d’une voix ». Auditoire à l’unisson. Montre que fable de Cérès a capté son attention.

  • V.22-27 réplique de l’orateur. Noter la rapidité (pas d’incise, il faut « deviner » que c’est à nouveau l’orateur). Cette rapidité est représentative de son habileté à manier le langage.

  • Noter que son discours s’achève par une question rhétorique v.27 provoque cette fois réaction de l’auditoire



II) Elle opère une réflexion fondée sur une mise en abyme

1) Qui est le narrateur

  • 1er niveau est l’orateur mais intervient finalement peu v.16 à 20 et 22 à 27

  • en réalité le narrateur est celui qui raconte la fable de l’orateur et l’orateur est un personnage parmi les autres. Ses interventions sont multiples, parfois évidentes v.32-37, parfois plus discrètes pour « planter le décor » ex. v.10 « le vent emporta tout » ou pour porter un jugement v.1 « peuple vain et léger »

on voit bien comment La Fontaine se place à la fois en tant que conteur ET moraliste

2) Qui est le peuple d’Athènes

  • Quand est inattentif les appellations sont volontiers péjoratives v.1 ; v.6 « on » ; v.8 « les âmes les plus lentes » v.11…

  • Quand attentif appellations moins variées et mélioratives « assemblée » v.20 « réveillée » v.28

  • V.32 « nous sommes tous d’Athènes ». Rappelle que cette fable est là aussi pour nous instruire. Comme les Athéniens nous n’écoutons que lorsque qqch nous fait plaisir à entendre.

3) Quelle est la fable

  • Jeu de poupées russes. Ensemble du texte ne cesse de renvoyer à l’écriture des fables : cf. champ lexical : v.29 « apologue » ; v.31 « fable » ; « moralité » v.33 évocation de persg mythologique « Cérès » et d’animaux « l’hirondelle et l’anguille » v.16-17 + titre lui même « le pouvoir des fables ».

Noter aussi que ces fables sont associées à l’idée d’amusement, de jeu d’enfant : « contes d’enfants » v.24 ; v.34

  • 1°) On a donc la fable de Cérès v.16-27. Elle n’est là que pour attirer attention des Athéniens avant de les orienter sur le danger réel v.2 « patrie en danger » v.5 « commun salut » v.25 ; v.27

elle permet de détourner l’attention des futilités « combats d’enfants » v.14

  • 2°) on a la fable de l’orateur (racontée par La Fontaine). Elle est là pour montrer la puissance des contes « le pouvoir des fables ».

paradoxe d’une fable qui nous séduit pour nous dire que les fables séduisent. Leur but prétendu d’après la fable de Cérès serait de nous instruire parce que nous ne sommes pas capables de nous intéresser aux choses qui ne nous ont pas d’abord amusées. Mais la morale de La Fontaine v.32-37 tend à « assumer » la dimension ludique des fables. La Fontaine avoue son plaisir enfantin pour les contes v.34-37 et l’on en vient à se demander si l’intention d’instruire n’est pas un prétexte que se donne le fabuliste pour se laisser aller au plaisir de la narration.